vendredi 21 septembre 2012

Melencolia 1 - Albrecht Dürer (1471-1528)

Albrecht Dürer (1471-1528) est originaire de Nüremberg. Peintre et surtout graveur, il propulse la gravure sur bois mais surtout la gravure sur cuivre, art nouveau pour l'époque, à un niveau encore jamais dépassé aujourd'hui. Il voyagea à de nombreuses reprises aux Pays-Bas et en Italie et fut influencé par les artistes qu'il y rencontra. C'est un homme de la Renaissance, il est d'ailleurs un des premiers artistes à avoir acquis une réputation personnelle. Le nombre d'autoportraits qu'il a réalisés montre bien son détachement de l'art médiéval, même si l'influence du gothique reste forte chez lui, surtout au début de sa carrière.

Melencolia 1 - Albrecht Dürer, 1514, gravure au burin sur papier vergé

Lié à l'Humanisme, Dürer est aussi un théoricien, intéressé par les mathématiques et la géométrie euclidienne qu'il étudie en vue de travailler la perspective dans ses œuvres - mais aussi par l'anatomie, les sciences naturelles... Par tous ces aspects, il est proche de Léonard de Vinci.  Le goût d'Albrecht Dürer pour les mathématiques se retrouve dans la gravure Melencolia.

Il semble que Dürer ait puisé son sujet dans "De occulta philosophia" de Heinrich Agrippa Von Nettesham (1510). Sans doute connaissait-il aussi les textes de Marsile Ficin. Pour le Moyen Age, quatre "humeurs" seraient responsables des tempéraments humains: le sang, la bile jaune, le phlegme et la bile noire ou mélancolie, au sens étymologique. Ces humeurs sont associées aux saisons, aux quatre âges de l'homme, aux éléments. C'est surtout la mélancolie qui a retenu l'attention, considérée comme une manifestation du génie auquel elle ouvre les portes de l'imagination. La mélancolie est ensuite considérée comme un état dépressif qui enlève à l'artiste son enthousiasme, et les astrologues de la Renaissance pensent que le carré magique peut servir de traitement.

Cette extraordinaire gravure est une œuvre aux graphismes extrêmement fins et précis qui joue sur tous les degrés de gris très contrastés, du noir au blanc. La Melencolia intègre, de manière synthétique, une multiplicité d'éléments dont les commentateurs s'accordent à reconnaître la forte prégnance symbolique (compas, sablier, balance, polyèdre, sphère, carré védique, meule, athanor, tenailles, clous, chien, ange, échelle à 7 degrés, arc-en-ciel, chérubin, rabot... ). Ces éléments, représentés séparément, s'appellent les uns avec les autres pour composer un ensemble symbolique complexe et dont les résonances semblent susceptibles d'interprétations inépuisables et indéfinies.

Voici un angle d'interprétation pour cette œuvre très particulière :

-  Les outils sont au pied du personnage central. Il les a abandonnés, preuve que celui ci est passé du stade opératif au stade spéculatif, c’est-à-dire qu’il est passé du travail sur la matière au travail sur son esprit. Mais ces outils sont aussi symboles des champs du savoir de l’époque. La géométrie, redécouverte à la Renaissance, est peut-être le premier d’entre eux.

-  Un polyèdre, chef d’œuvre de l’art de la perspective, l’art de construire, est présent dans le paysage de désolation. On peut y voir comme "un besoin d’ordonner le chaos du monde, mais sans parvenir à le rendre intelligible."

-  Un chien est endormi au pied de l’ange : il symbolise la part d’animalité dans l’homme, enfouie dans l’inconscient. Sa neutralisation permet l’accès à la spiritualité.

-  Les clefs accrochées à la ceinture montrent la puissance, la bourse évoque la richesse.

-  L’angelot symbolise l’innocence perdue de l’enfance, le mythe du paradis perdu. Proche du personnage central, il en est quasiment la projection spirituelle. Mais son attitude studieuse (il écrit) montre que dès l’enfance le travail doit être élevé comme vertu. Ses ailes sont le pendant de celles du personnage central : elles symbolisent l’aspiration à la spiritualité par opposition à la lourdeur du corps. La mélancolie peut elle être transcendée par la satisfaction du travail bien fait ? et le bonheur de la découverte d’un monde de fraternité insoupçonné du profane ?

- L’échelle (à sept marches) n’est-elle pas une allégorie d’un parcours ascensionnel de l’âme à travers le verticalité de la perpendiculaire, telle qu’on la retrouve déjà dans la Genèse ? « Voici qu’était dressée sur terre une échelle dont le sommet touchait le ciel ; des anges de Dieu y montaient et y descendaient »

- A gauche, on peut voir le creuset et les pincettes de l’alchimiste qui purifie la matière impure, métaphore du processus spirituel en cours chez le génie mélancolique ? Les objets présents ne sont-ils pas les objets qui attendent le réveil du génie souffrant ?

-  Une chauve-souris emporte le titre de la gravure. Si on arrange les lettres du mot « Melencolia », on peut trouver « limen caelo » ou « porte vers le ciel », image que l’on retrouve sur le blason familial de Dürer.


Le carré magique

C'est un concept très ancien qui semble originaire d'Inde et de Chine, 2000 ans avant Jésus-Christ; on le retrouve chez les Arabes et des mathématiciens comme Fermat et Euler s'y sont intéressés. Sa propriété a fasciné: l'addition des nombres de chaque ligne, chaque colonne et chaque diagonale donnent le même résultat (34, dans le cas de cette oeuvre). On lui a prêté un caractère ésotérique, d'autant plus que le 3 et 4 sont des chiffres particulièrement importants en alchimie, le 3 symbolisant la vie du monde physique et le 4, celle de l'esprit. On remarquera également que les deux cases centrales de la dernière ligne indiquent la date de création de l'oeuvre.

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