vendredi 4 mars 2011

Philosopher, c’est apprendre à mourir

Je ne tenterais pas de définir la mort, en regard de la difficulté philosophique de l’exercice. En effet nous ne pouvons parler avec assurance que de la vie, n’ayant aucune expérience de la mort.

Selon Epicure, la crainte de la mort est inutile et infondée: « la mort n’existe pas tant que nous vivons et nous n’existons plus quand elle est là ». Il conclut qu’il faut jouir de son existence mortelle et non souffrir à l’avance pour une idée dont nous ne savons strictement rien.

La philosophie d’Epicure apparaît séduisante. Néanmoins, il occulte tout le côté affectif. Il n’évoque aucunement la fin de la vie, la possible déchéance… Par ailleurs, il semble oublier que c’est bien souvent la mort des autres, qui nous angoisse et nous fait souffrir.

L’Homme se distingue du reste des créatures vivantes en ce sens qu’il est capable de penser sa propre fin. Il ne peut la représenter, mais il parvient à se l’imaginer. C’est cette représentation consciente, comme une élaboration du mental qui est caractéristique du rapport de l'homme à la mort.
 
C’est dans cette perspective qu’Heidegger écrit « seul l’homme meurt, l’animal périt ».

François-Xavier Bichat, médecin et biologiste français du XIXème siècle définissait la mort comme suit : « la vie est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort ». Il exprimait ainsi le fait que, de manière naturelle, la mort n'existe pas en tant qu'état soudain et instantané. C’est un long et lent processus avec bien des étapes qui font que l'on est chaque jour un peu moins vivant.


 
La mort fait partie du cycle de la vie
 
Le cycle des saisons est ponctué par quatre moments majeurs qui marquent l’entrée dans les saisons. Il y a d’une part les équinoxes - deux jours dans l’année à six mois d’intervalle où le jour est aussi long que la nuit et d’autre part les solstices - deux jours dans l’année à six mois d’intervalle où, pour le premier, le jour est le plus long de l’année, et pour le second, la nuit est la plus longue.

L'origine du symbole des saisons résulte de la division de l'année solaire par les équinoxes de printemps et d'automne et par les solstices d'été et d'hiver. La succession des saisons marque les rythmes de la nature et de la vie de l'homme.

Le printemps, la naissance.
L'été, la maturité.
L'automne, le déclin.
L'hiver, la mort, suivie à nouveau du printemps symbolisant la renaissance éternelle.

La mort en tant que manifestation de la vie

Ce que la mort abolit, la naissance le régénère, le temps le transforme. D’un côté, nous savons que tout meurt, simultanément, nous savons aussi que tout vit et renaît sans cesse.

S’il meurt des milliers d’hommes chaque jour, il naît aussi chaque jour des milliers d’enfants. Il faut envisager le processus global de la manifestation de la vie.

Schopenhauer écrit : « La plante et l’insecte meurent à la fin de l’été, l’animal et l’homme après un petit nombre d’années : la mort fauche sans relâche. Mais malgré cela, oui, comme s’il n’en n’était nullement ainsi, tout est toujours présent en son lieu et à sa place, comme si rien n’était périssable. En tout temps la plante verdit, l’insecte bourdonne, l’animal et l’homme subsistent dans leur indestructible jeunesse, et nous retrouvons chaque été les cerises déjà mille fois dégustées ».

Schopenhauer indique par-là que la vie maintient l’Idée du cerisier, l’Idée de la vigne, l’Idée du chêne, l’Idée de l’écureuil, l’Idée de l’homme. Il faut que les individus d’une espèce se succèdent pour que le processus immortel de la vie se continue de génération en génération.

Ce qui est immortel de ce point de vue, c’est l’espèce, c’est l’Idée et non l’individu qui est une manifestation temporaire de cette Idée.

Dès lors, la mort ne constitue pas une négation de la vie, mais le moment d’un processus par lequel elle se maintient dans la durée. De la graine à l’arbre, de l’arbre à la fleur de la fleur au fruit du fruit à la graine et ainsi de suite.

Vie et mort se succèdent comme nuit et jour, car les cycles de l’éternelle nature ne cessent par un seul instant. La vie est une puissance prodigieuse, et tant qu’elle demeure, le champ du possible reste ouvert.

Voilà une façon résolument optimiste de considérer l’affirmation de Nietzsche : « Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort. »
 

L’idée de la mort nous apprend à vivre

Si l'image de la mort est aussi prégnante dans notre société, c’est qu’elle doit avoir des vertus éducatives.

Elle jette une lumière décisive sur la vie, en inspirant notre conduite et notre pensée. En effet, penser à la mort fait s’évanouir toutes les vanités humaines et laisse l'homme seul, face à lui-même, lui rappelant la courte durée de son existence humaine, et la nécessité d'utiliser à bon escient les instants de vie qui lui sont accordés.

La symbolique de la mort  peut être choquante pour l'intellect, mais réconfortante dans son intime compréhension. Elle ne promet pas l’immortalité, mais elle invite l'initié à s'éveiller à la vie véritable.

Cicéron a écrit « Philosopher, c’est apprendre à mourir ». Le sage stoïcien présente une certaine résignation face aux événements qui ne dépendent pas de lui, en particulier la mort.

La mort ne donne rien à penser, mais par elle, nous pouvons tout repenser.  Ce n’est pas tant la mort qui doit nous obséder, mais plutôt la  qualité que nous voulons donner à notre vie.


 

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