dimanche 29 avril 2012

Mère Teresa (1910-1997)


Mère Teresa (1910-1997)
Mère Teresa, de son nom patronymique Agnès Gonxhe Bojaxhiu, née le 26 août 1910 à Uskub, Empire Ottoman (actuellement Skopje, Macédoine), et morte le 5 septembre 1997 à Calcutta, Inde, est une religieuse catholique albanaise, de nationalité indienne, surtout connue pour son action personnelle caritative et la fondation d'une congrégation de religieuses, les Missionnaires de la Charité qui l'accompagnent et suivent son exemple.

Issue d’une famille de paysans très croyants, d’ascendance de Mirditë (ville d’Albanie), elle est éduquée dans le respect des traditions. Cette éducation fera naitre en elle un grand intérêt pour la religion. A l’âge de 18ans, désireuse de quitter la macédoine, elle rejoint le couvent de l'ordre missionnaire des sœurs de Notre-Dame-de-Lorette en Irlande. Elle y prendra alors le nom de Sœur Mary-Teresa et rejoindra l’Inde quelques mois plus tard en janvier 1929.

Deux ans après, une fois sa formation de novice à Darjeeling finie, Agnès prononce des vœux temporaires et se fait appeler depuis Sœur Teresa. Le 24 mai 1937, elle prononce ces vœux définitifs, devenant, comme elle disait, “l'épouse de Jésus” pour “toute l’éternité”.

Cependant, voulant aider d’avantage les nécessiteux, elle décide avec l’autorisation du Vatican, en 1948, de fonder le nouvel ordre des Sœurs missionnaires de la charité. Elle quitte l’ordre des sœurs de Notre-Dame-de-Lorette et elle s’installe à la communauté de Loretto Entally à Calcutta, dans un bidonville, avec quelques autres religieuses pour se consacrer entièrement aux nécessiteux.

Le 10 septembre 1946, en route pour sa retraite annuelle à Darjeeling, elle reçoit ce qu'elle appelle "l'appel dans l'appel". Pendant qu'elle essaye de dormir: "Soudain, j'entendis avec certitude la voix de Dieu. Le message était clair: je devais sortir du couvent et aider les pauvres en vivant avec eux. C'était un ordre, un devoir, une certitude. Je savais ce que je devais faire mais je ne savais comment". Mère Teresa parle de cette journée comme étant le "jour de l'inspiration". Elle ajoute que cette expérience est celle de l'amour de Dieu, qui veut aimer mais aussi être aimé. Elle affirme que "Dieu a soif de nous".

Presque deux ans d’épreuves et de discernement passèrent avant que Mère Teresa ne reçoive la permission d'établir une communauté religieuse : les Missionnaires de la Charité, dédiée au service des plus pauvres d’entre les pauvres. Afin de mieux répondre aux besoins physiques aussi bien que spirituels des pauvres, Mère Teresa fonde Les Frères Missionnaires de la Charité en 1963, en 1976 la branche contemplative des sœurs, en 1979 les Frères Contemplatifs, et en 1984 les Pères Missionnaires de la Charité. Cependant son inspiration n’est pas limitée à ceux qui ont une vocation religieuse. Elle forme les Coopérateurs de Mère Teresa et les Coopérateurs Malades et Souffrants, personnes de fois et nationalités différentes avec qui elle partage son esprit de prière, de simplicité, de sacrifice et son apostolat pour les humbles travaux d’amour. Cet esprit inspira plus tard les Laïques Missionnaires de la Charité. En réponse aux demandes de beaucoup de prêtres, en 1981 Mère Teresa commence aussi le mouvement Corpus Christi pour les prêtres, traçantun “petit chemin de sainteté” pour ceux qui désirent partager son charisme et son esprit.

Durant ces années de croissance rapide, le monde commence à tourner son regard vers Mère Teresa et le travail qu’elle a commencé. Elle reçoit de nombreux prix pour honorer son travail, en commençant par le prix indien Padmashri en 1962 et le Prix Nobel de la Paix en 1979, alors que les médias, avec un intérêt grandissant, commencent à suivre ses activités. Ses œuvres humanitaires à travers le monde et son ascétisme marquent les mémoires et elle devient alors une des personnalités les plus considérées.

Durant les dernières années de sa vie, malgré des problèmes de santé de plus en plus sérieux, Mère Teresa continue à gouverner sa congrégation et à répondre aux besoins des pauvres et de l’Eglise. En 1997, les sœurs de Mère Teresa sont au nombre d’environ 4000 et sont établies dans 610 fondations réparties dans 123 pays du monde. En mars 1997, elle bénit la nouvelle supérieure générale des Missionnaires de la Charité récemment élu et elle effectue encore un voyage à l’étranger. Après avoir rencontré le Pape Jean Paul II pour la dernière fois, elle rentre à Calcutta et passe ses dernières semaines à recevoir des visiteurs et à enseigner à ses sœurs.

Mère Teresa est morte le 5 septembre 1997, après plusieurs années de maladie durant lesquelles elle subit plusieurs crises cardiaques. Elle a reçu du gouvernement de l’Inde les honneurs de funérailles officielles et son corps fut enterré dans la Maison Mère des Missionnaires de la Charité. Sa tombe devint rapidement un lieu de pèlerinage et de prière pour les gens de toutes fois, riches et pauvres.

Mère Teresa laisse le testament d’une foi inébranlable, d’un espoir invincible et d’une charité extraordinaire. L’ensemble de la vie et de l’œuvre de Mère Teresa témoignent de la joie d’aimer, de la grandeur et dignité de chaque être humain, de la valeur de chaque petite chose faite avec foi et avec amour.

Moins de deux ans après sa mort, dû à la réputation de sainteté largement répandue de Mère Teresa et au rapport des faveurs reçues, le Pape Jean Paul II permet l’ouverture de sa cause de canonisation. Le 20 décembre 2002, il approuva les décrets de ses vertus héroïques et miracles. Elle est béatifiée le 19 octobre 2003.


Citations de Mère Teresa

"Par mon sang, je suis albanaise. Par ma nationalité, indienne. Par ma foi, je suis une religieuse catholique. Pour ce qui est de mon appel, j’appartiens au monde. Pour ce qui est de mon cœur, j’appartiens entièrement au Cœur de Jésus."

"Le manque d'amour est la plus grande pauvreté."

"Nous réalisons que ce que nous accomplissons n'est qu'une goutte dans l'océan. Mais si cette goutte n'existait pas dans l'océan, elle manquerait."

"Ne laissez personne venir à vous et repartir sans être plus heureux."

"La perte d'une certaine pudeur comme la perte de la pureté sont les causes profondes de la décadence du monde."

"Nous ne saurons jamais tout le bien qu'un simple sourire peut être capable de faire."

"L'autre jour j'ai rêvé que je me trouvais devant les portes du paradis. Et saint Pierre me disait: "Retourne sur Terre, il n'y a pas de bidonville ici"."

"La solitude et le sentiment de n'être pas désiré sont les plus grandes pauvretés."

"Afin qu'un lampe continue de brûler, il faut y ajouter de l'huile."

"Ce qui compte ce n'est pas ce que l'on donne, mais l'amour avec lequel on donne."

"La plus grande souffrance est de se sentir seul, sans amour, abandonné de tous."

"Si tu juges les gens tu n'as pas le temps de les aimer."

"La vie est un défi à relever, un bonheur à mériter, une aventure à tenter."

"Pour ce qui est de l'argent, il viendra bien: si nous cherchons d'abord le royaume de Dieu, le reste sera donné par surcroît.

"On ne peut pas faire de grandes choses - rien que des petites avec un immense amour."

"Dieu est l'ami du silence. Les arbres, les fleurs et l'herbe poussent en silence. Regarde les étoiles, la lune et le soleil, comment ils se meuvent silencieusement."

"Insistons sur le développement de l'amour, la gentillesse, la compréhension, la paix. Le reste nous sera offert."

"Si vous ne pouvez pas nourrir cent personnes, nourrissez-en au moins une."

"Donne tes mains pour servir et ton cœur pour aimer."

"Se connaître nous fait plier le genou, posture indispensable à l'amour. Car la connaissance de Dieu engendre l'amour, et la connaissance de soi engendre l'humilité."

"Conquérons le monde avec notre amour. Entrelaçons nos vies, tissons-les des liens du sacrifice et de l'amour, il nous sera possible de conquérir le monde."

"Bien des gens acceptent de faire de grandes choses. Peu se contentent de faire de petites choses au quotidien."

"Le silence du cœur t'est nécessaire afin d'entendre Dieu partout - dans la porte qui se ferme, la personne qui te réclame, les oiseaux qui chantent, et les plantes, et les animaux."

"Que pouvez-vous faire pour promouvoir la paix dans le monde ? Rentrer chez vous et aimer votre famille !"

"Ce qui me scandalise, ce n'est pas qu'il y ait des riches et des pauvres: c'est le gaspillage."

"De bonnes paroles peuvent être brèves et faciles à dire mais leur écho est véritablement éternel."

"Ne vous imaginez pas que l'Amour, pour être vrai, doit être extraordinaire."

   

dimanche 15 avril 2012

Se libérer du temps généalogique - E. Horowitz, P. Raynaud

Editions Chemins de l'Harmonie (2003)
Comment déprogrammer son destin par la psycho-généalogie


Que signifie la répétition des dates de naissance, de mariage et de décès au sein d'une même famille, comment se forment les programmes généalogiques et quelles en sont les conséquences en terme de destinée ?

Les événements pourraient-ils être programmés par l'inconscient familial et si oui, de quelle manière et pour quelles raisons ?

C'est à ces questions fondamentales que répond ce livre en démontrant qu'il peut être fort utile d'anticiper sur ces déterminismes temporels. Il propose également de découvrir ce que sont l'inceste géographique et autres formes plus secrètes de l'effet de parenté, les traumatismes historiques et leurs conséquences, les circonstances du mariage et les stratégies familiales au moment de l'alliance, les sources généalogiques de la maladie... ainsi que de nombreux autres éléments essentiels en psychogénéalogie, tel le rôle du parrain et de la marraine, illustrés d'exemples précis rencontrés lors de consultations. 

La seconde partie de l'ouvrage est consacrée à la possibilité de dialoguer avec l'inconscient familial et concerne la découverte d'un ancêtre intime. Ancêtre intérieur que les auteurs proposent de construire à partir de deux récits familiaux, l'un issu de la branche maternelle, et l'autre de la branche paternelle. Cette seconde partie a pour but de nommer un personnage historique en tant qu'Ancêtre-Guide, médiateur entre l'inconscient familial et soi-même. Ces deux parties se veulent complémentaires et utiles dans la quête d'une unité de la personnalité.

Elisabeth Horowitz, psychothérapeute, est spécialisée depuis quinze ans dans l'étude et l'analyse du fonctionnement de l'arbre généalogique. Elle anime conférences et séminaires destinés aux particuliers et aux thérapeutes en France et en Europe.

Pascale Raynaud, psychothérapeute, est spécialisée en thérapie corporelle et transgénérationnelle et utilise comme outils thérapeutiques le récit de vie et la la relaxation profonde. Elle anime des séminaires en France.
Mourir pour mieux se reproduire ? Sergio Aquindo - Encre de chine et aquarelle - 2009

Extraits

Dire la vérité à ses ascendants

"On ne saurait faire progresser son arbre généalogique en s'abstenant de dire la vérité à ses descendants. Il serait souhaitable, sil'on a des enfants, de les informer avant leur entrée dans la puberté, de façon détaillée, de tout ce que nous avons vécu depuis notre enfance.
Nous devrions leur parler de notre vie avec nos parents et nos frères et soeurs, de nos années d'études, de nos expériences sentimentales et sexuelles, des circonstances de notre mariage et de notre entrée dans la vie active, de nos acquis financiers, de ce que nous avons subi des autres et de ce que nous avons fait subir aux autres.
Il faut bien évidemment s'assurer de la capacité de nos enfants à entendre et à comprendre ces vérités, cela ne peut se faire que si les enfants sont construits sur le plan intérieur par notre amour et celui de notre partenaire.
N'oublions pas que des enfants qui ignorent tout de la vie de leurs parents ont de grandes chances de la répéter, ne serait-ce que pour devenir conscients des traumatismes familiaux qu'on ne leur a pas expliqués.
Seule la parole, la restitution des expériences et leur explication peuvent s'opposer à la répétition des scénarios de vie."


Se libérer des situations incestueuses

"Lorsque cela est possible, il est souhaitable de quitter des situations de nature incestueuse, par exemple exercer le même métier que nos ancêtres, se marier avec une personne qui nous a été présentée par un frère ou une sœur, choisir comme conjoint une personne qui se prénomme comme l'un de nos parents, habiter dans une maison de famille, calquer son mode de vie sur celui de ses parents ou celui de ses grands-parents, se maintenir dans la même classe sociale..."

La découverte de l'Ancêtre guide


"Découvrir un ancêtre qui pourrait être un guide est une des finalités du travail sur l'arbre généalogique. C'est ce qui va nous permettre d'accéder à une dimension transcendante, une dimension qui va nous guérir du passé familial... Revisiter l'Histoire en général et notre généalogie en particulier est thérapeutique. cela nous permet de distinguer les paroles des uns et des autres sur les faits passés et de ne plus répéter ces paroles comme une vérité, de façon à réintégrer une vision personnelle."

mardi 10 avril 2012

Utopie, la quête d'une societé idéale

L'Utopie de Thomas More (1516)
L'empire des modèles bibliques 

"Iahvé Elohim planta un jardin en Eden, en Orient." Genèse, II, 8

Si l'utopie se sépare radicalement de la tradition chrétienne, elle ne cesse pourtant d'y puiser, au cours de son évolution historique, d'innombrables modèles et de lui emprunter ses premières figures dans l'espace, le temps et l'histoire.



Le paradis terrestre

Le paradis terrestre, dans sa représentation médiévale, fournit à l'utopie le modèle d'un jardin de délices, d'un suave verger où ruissellent les eaux vives. Adam, père de toute la race humaine, y fait figure de sage législateur attribuant à chaque être vivant son nom et sa juste place. Cette vision idéale du jardin d'Eden est parfois remplacée, à partir du XIIe siècle, par celle d'une cité fortifiée ou d'un château cerné de hauts remparts assurant protection à ses habitants. Mais le modèle est aussi celui d'un paradis perdu dont le premier péché d'Adam et Eve a séparé les hommes : "Quant au paradis, Dieu le fit entourer d'un mur de feu afin que l'homme ne pût y accéder jusqu'au jour où il tiendrait un jugement sur la terre"(Lactance, Institutions divines, IVe siècle.). 

Il demeure pourtant dans la tradition médiévale, et même bien au-delà, localisé quelque part sur la terre, très loin de notre orbe;  pour certains, il est séparé des régions habitées;  pour la plupart des commentateurs occidentaux, il est situé au Levant, image du Christ.

Le Jardin des délices - Jérôme Bosch, triptyque huile sur bois 220×389cm (1503-1504), Musée du Prado, Madrid


Au XVIe siècle, on croira le trouver dans les Indes occidentales nouvellement découvertes. Il est tantôt représenté comme une île, monde clos fermé par l'eau, lieu à la fois différent et pareil à la terre qui renvoie à une image de pureté lointaine; tantôt comme une terre ferme, un espace largement déployé quelque part aux frontières du monde, peut-être en Inde, en Arménie, en Babylonie ou en Terre sainte.

Le père Huet, à la fin du XVIIe siècle, dresse de ces innombrables spéculations un bilan ironique  "On l'a placé dans le troisième ciel, dans le quatrième, dans le ciel de la lune, dans la lune même, sur une montagne voisine du ciel de la lune, dans la moyenne région de l'air, hors de la terre, sur la terre, sous la terre [...]. On l'a mis sous le pôle arctique, dans la Tartarie, là où est la mer Caspienne."

Seuls des êtres saints ont pu brièvement apercevoir ce lieu mystérieux, car il faut, pour y accéder, mourir d'abord. Le pays d'Utopie, s'il est à l'image du paradis, marqué du sceau d'une altérité absolue, doit pourtant « descendre» sur la terre et s'y accomplir par la grâce de la pure fiction jusqu'au XIXe siècle, ou par le recours au combat à partir de la fin du XIXe siècle.

La fin des temps

Les traditions prophétiques et millénaristes fournissent à l'utopie un modèle de temps dynamique et d'histoire orientée très différent du temps cyclique des penseurs gréco-latins. Elles s'appuient sur les livres d'Osée, de Zacharie, d'Isaïe, de Daniel et sur l'Apocalypse de saint jean dont le texte, très populaire au Moyen Âge, inspire de nombreux cycles iconographiques. L'annonce d'une première résurrection des justes destinés à régner mille ans, puis d'un deuxième jugement concernant tous les hommes, y est souvent interprétée de manière réaliste;  la lecture plus symbolique de saint Augustin, insistant sur la nécessité de construire dès à présent le royaume de Dieu sur la terre, n'emportera jamais l'adhésion de tous. Cette lecture littérale trouve avec les écrits de Joachim de Flore au XIIe siècle l'un de ses développements les plus étonnants, et avec jean Hus au début du XVe siècle son prédicateur le plus ardent. Quand le jugement sera passé, alors descendra la Cité sainte, la Jérusalem nouvelle, cité idéale aux proportions parfaites, illuminée par la lumière de l'orient.

Quand, à partir du XIXe siècle, l'utopie semble s'élargir au-delà du genre littéraire pour s'investir du côté du réel, c'est à ces traditions prophétiques et millénaristes qu'elle emprunte, en le laïcisant, leur modèle eschatologique du temps et de l'histoire pour fonder une forme de religion de l'avenir.

Le thème du voyage

À partir de cette irrépressible nostalgie du paradis perdu, le Moyen-âge développe une littérature de la quête, du voyage à la recherche de ces lieux liés à la promesse d'une vie nouvelle.
Ainsi, le célèbre « Voyage de saint Brandan » raconte l'errance initiatique de ce moine irlandais et de ses quatorze compagnons auxquels il faudra sept ans pour rejoindre l'île de lumière qui leur est promise après leur mort. Ce thème du voyage ne cessera de hanter toute la littérature utopique.

Un modèle de communauté humaine idéale

Le monachisme, enfin, fournit sans doute à l'utopie un modèle de communauté "parfaitement ordonnée et parfaitement harmonieuse dans la jouissance de Dieu et dans la jouissance mutuelle en Dieu; la paix de toutes choses, c'est la tranquillité de l'ordre.  L'ordre, c'est la disposition des êtres égaux et inégaux, désignant à chacun la place qui lui convient" (saint Augustin, La Cité de Dieu). Christine de Pisan rêvant à sa cité idéale y puisera largement.

Vertus et vices de la cité terrestre - Saint Augustin, La Cité de Dieu, XVe s

La meilleure forme de république
 
De l'abbaye de Thélème au phalanstère de Fourier en passant par La Cité du Soleil de Campanella, la Nouvelle Atlantide de Francis Bacon, l’Utopie de Thomas More ou la fête révolutionnaire, un véritable genre littéraire et philosophique est né.
A l'origine, pourtant, ce qui importe à More n'est pas d'inventer un genre littéraire mais d'élaborer une "nouvelle forme de gouvernement" pour conjurer la décadence de la cité et faire coïncider l'éthique et la politique. La plupart des humanistes de la Renaissance partagent avec More ce "beau rêve" utopique. 

Né de l'union de Gargantua et de Babedec, fille du roi des Amaurotes en Utopie, le personnage éponyme du Pantagruel de Rabelais semble se placer dans la droite ligne de cet héritage, mais l'auteur a perdu de vue le sérieux et la ferveur des Utopiens, et son œuvre devient une arme dirigée contre le fondateur du genre.

Pantagruel se présente comme la suite des Grandes et Inestimables Chroniques du grand et énorme géant Gargantua, ouvrage anonyme qui paraît en 1532, satire des romans de chevalerie. Pantagruel, atteint lui aussi de gigantisme, devient un prince humaniste par son éducation. Le nouveau monde découvert dans la bouche du géant rejoint le thème des Grandes Découvertes en s'en inspirant largement. Dans Gargantua, Rabelais imaginera ensuite l'abbaye de Thélème, un édifice sans murailles, au bord de la Loire, qui s'inscrit dans un hexagone dont les angles sont marqués de six tours aux noms symboliques. "Fay ce que vouldras" est sa devise.

L'Utopie de Thomas More (1516) - Première édition de L'Utopie, avec la carte de l'île


Des lois écrites « sur des tables d'airain »

Autre héritier de Thomas More, mais beaucoup plus radical que ce dernier, Tommaso Campanella est né en 1568. Ce fils de cordonnier analphabète entre dans les ordres des frères dominicains et participe au soulèvement de Calabre en 1599. Arrêté et torturé, il est emprisonné pendant vingt-sept ans et rédige en prison La Cité du Soleil, qui paraît en 1602. L'économie y est communiste, et le régime politique, dirigé par un métaphysicien, repose sur un triumvirat associant la puissance, la sagesse et l'amour. Tout est strictement contrôlé par le pouvoir, y compris la procréation, et l'on peut se demander si la Cité du Soleil ne préfigure pas les régimes totalitaires du siècle dernier.

La première véritable utopie de langue française est à chercher du côté des utopies combattantes de la Réforme : « L'Histoire du grand et admirable royaume d'Antangil », publiée à Saumur en 1616, s'inscrit dans la tradition de la Terre australe, difficile à atteindre, où règne une religion protestante tempérée de catholicisme. A la suite de la révocation de l'édit de Nantes en 1685, les protestants sont contraints à l'exil ou à la clandestinité. La communauté réformée n'a plus de lieu et l'utopie devient une réponse au même titre que le désert cévenol.

L'empire de l'homme sur la nature

Entre 1602 et 1699 paraissent une trentaine de textes inscrits dans le sillage de Thomas More. La Nouvelle Atlantide de Francis Bacon, en 1627, révèle la première utopie fondée sur la science : la société y est dirigée par une élite de savants qui admettent la propriété privée et dont le but est d'appliquer les découvertes scientifiques à la vie en société.

De même, Cyrano de Bergerac, dans ses « États et Empires de la lune » (1657) et ses « États et Empires du soleil » (1662), introduit la science-fiction dans la littérature utopique avec ses fusées, ses livres parlants ou ses maisons sur roues.

Fénelon, soucieux de trouver la voie qui mène au bonheur des individus, annonce dans "Les Aventures de Télémaque" en 1699 les utopistes du XVIIIe siècle son utopie, plus réaliste, intègre l'idée de progrès et donc le principe d'une évolution interne. Il ouvre ainsi la voie aux Lettres persanes de Montesquieu, pour qui le progrès moral est le seul garant d'un progrès social, et au Paysan perverti (1776) de Restif de la Bretonne, que l'on peut considérer comme étant une des sources du socialisme utopique dans le monde rural.

A la fin du XVIIIe siècle, les bienfaits du machinisme offrent un nouveau moyen pour améliorer la vie des hommes, et les architectes projettent les idéaux révolutionnaires dans leurs plans. L'architecture, art utopique par excellence, doit rendre visibles les valeurs morales et politiques qui la déterminent. La fonction pratique doublée d'une fonction symbolique est subordonnée à la raison: ainsi en est-il de l'œuvre de Boullée (notamment avec le cénotaphe de Newton), ou de Claude-Nicolas Ledoux, architecte de la saline royale d'Arc-et-Senans, qui imagine autour de l'usine une cité nouvelle, la ville de Chaux.

Projet pour la ville de Chaux - Claude-Nicolas Ledoux


Où les utopies entrent dans l'histoire

Optimismes de l'âge romantique

La révolution française consomme sa rupture avec l'Ancien Régime par l'effacement de ses repères sociaux et culturels; elle rationalise l'espace (création des départements) et le temps (le calendrier révolutionnaire). L'idée de progrès, développée par le siècle des Lumières, rejoint totalement la démarche utopique. La révolution américaine est emblématique de ce mouvement fondé sur le refus de l'absolutisme et sur l'affirmation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

A l'aube du XIXe siècle, l'utopie tente de s'installer dans la réalité. Il s'agit, sous l'égide d'un législateur génial ou d'un philanthrope convaincu, de construire une communauté de travail tendant vers l'égalité des biens. Qu'ils soient industriels, entrepreneurs ou théoriciens, les utopistes "socialistes" tentent, dans leurs différents projets communautaires, d'allier progrès social et progrès économique en s'appuyant sur les seules bases de la science positive.

Cette nouvelle génération est résolument optimiste : l'avènement d'une société idéale est désormais à portée de main. Cependant, les tentatives de mise en pratique, souvent transférées aux États-Unis, échoueront pour la plupart. En Europe, l'échec des révolutions de 1848 va donner un élan nouveau au socialisme de type étatiste tout en mettant fin au rêve d'une société idéale acceptée par tous. Le mythe fraternitaire s'effrite pour laisser place à l'âpreté de la lutte des classes et à la phase "scientifique" du socialisme.
 
Sous le signe de la lutte des classes

Peut-on alors encore parler d'utopie socialiste?
 
La distinction entre ces deux formes de socialisme, utopique et scientifique (ou révolutionnaire), trouve son fondement dans les écrits de Marx et Engels eux-mêmes, dès le "Manifeste communiste" de 1848 où est affirmé le caractère résolument historique et "anti-utopique" du socialisme par la démonstration "scientifique" de l'aspect inéluctable de l'effondrement du capitalisme.

Pour Marx et ses disciples, le développement social est totalement incompatible avec l'essor économique du capitalisme. Au socialisme "utopique" de leurs prédécesseurs, jugé puéril et sentimental, ils opposent une analyse distanciée des phénomènes sociaux: la transformation du monde ne peut se faire que grâce aux forces de production et à la lutte des classes. Le socialisme marxiste, s'il fait disparaître les projets de législation utopiques comme ceux d'Owen ou de Fourier, contribue en revanche à renouveler le genre littéraire de l'utopie. Les nouvelles idées inspirent les romanciers et reflètent les diverses formes que revêt l'utopie dans la seconde moitié du siècle. 

A la société d'abondance libérée du joug capitaliste, vivant dans la paix et la liberté grâce au socialisme d'État, décrite par l'Américain Bellamy dans Looking Backward, répond le plaidoyer de l'Anglais William Morris en faveur d'une liberté totale héritée de l'anarchisme anti-autoritaire et d'un dépassement de l'âge industriel.

Un sentiment nouveau commence à ébranler les certitudes utopiques, confrontées peu à peu à l'expérience de l'histoire. La perspective temporelle annoncée par le socialisme, la violence des luttes sociales, introduisent désormais le doute quant à la visibilité de l'utopie. Les contre-utopies commencent à entrevoir le danger d'un monde soumis à la suprématie du collectif. Et si la réalisation de l'utopie était le début de la barbarie?

Faut-il renoncer à l'utopie ?

"Avec l'abandon des utopies, l'homme perdrait sa volonté de façonner l'histoire, et par la même occasion la capacité de la comprendre."  Karl Mannheim "Idéologie et Utopie" 1956.

À la fin du XIXe siècle et au cours du XXe, le sentiment ambivalent à l'égard de la science prédomine: la vitesse, l'automobile, l'avion, l'ensemble des progrès techniques provoquent l'enthousiasme des futuristes italiens, l'industrialisation engendrant un véritable culte pour la machine. Mais à l'inverse, on assiste à un phénomène de rejet: en 1926, Fritz Lang met en scène dans Metropolis des machines mangeuses d'hommes, des robots qui transforment les humains. Cette alternative entre rêve et cauchemar est le propre du siècle qui commence.

L'artiste, créateur d'utopies

Dès avant la Grande Guerre, dans les premières années du siècle, on assiste à un renversement des valeurs esthétiques: le constructivisme prôné par l'avant-garde russe s'appuie sur des motifs purement géométriques; le suprématisme élabore des formes pures qui ne doivent plus rien au monde sensible. Elles permettent d'élever l'homme, en lui faisant effleurer l'essence même de l'art, considéré comme un moyen d'atteindre à la perfection et par là même d'engendrer un homme nouveau. 

Malevitch et Lissitzky vont permettre à cette forme d'art de s'épanouir, notamment après la révolution russe des ateliers libres remplacent alors les académies traditionnelles et sont les pépinières de l'art nouveau. «L'humanité est le pinceau, le burin et le marteau qui construisent éternellement le tableau du monde. Mais l'art qui montrerait ce tableau sur son écran et où l'homme pourrait apercevoir la somme globale de tout son labeur dans le tableau du monde, cet art n'existe pas encore. J'ébauche cet écran » (Malevitch, Aux novateurs du monde entier, 1919).

Cette volonté de faire descendre l'art dans la rue et de transformer le monde en instaurant une cité parfaite est aussi perceptible dans les travaux du Bauhaus et de son premier directeur, Walter Gropius.

La fabrique de l'homme nouveau

C'est en Russie, à partir d'octobre 1917, que se traduit en politique l'ambition de forger un "homme nouveau": le régime des soviets incarne en effet un espoir et un exemple à suivre, comme le prouvent la révolution spartakiste en Allemagne en janvier 1919 ou les événements révolutionnaires en Hongrie.

Cependant, les exactions commises pendant la période du communisme de guerre provoquent très vite un désenchantement dont les marins de Cronstadt sont les premières victimes. La prise de pouvoir par Staline à partir de 1927 met en place l'industrialisation à marche forcée: le réalisme socialiste exalte les vertus de l'homme nouveau qui se sacrifie au service de la production. Sur les affiches de propagande, tout le pays se dresse comme un seul homme derrière le "Petit Père des peuples".

Métropoles du futur

La fabrique de l'homme nouveau nécessite également un nouveau cadre de vie. Dans l'URSS des années 20, les architectes et les urbanistes imaginent d'immenses mégalopoles aux formes géométriques. A l'Ouest, le fonctionnalisme s'impose dans la plupart des écoles et académies d'architecture: la ville est divisée selon ses fonctions et planifiée selon le principe géométrique. Le Corbusier élabore un système complet de cité idéale dès la parution du premier numéro de la revue L’"Esprit nouveau "en 1920 "Il y a un esprit nouveau. C'est un esprit de construction et de synthèse [...]. Une grande époque vient de commencer." En 1935, son projet de Ville radieuse est une véritable profession de foi dans les capacités de la science et de l'industrie.

Cité radieuse, résidence édifiée à Marseilles (1945-1952) par Le Corbusier

L'envers de l'utopie

Avant la Seconde Guerre mondiale, des éléments utopiques sont indéniablement présents dans les vastes projets architecturaux de Mussolini à Rome ou ceux d'Albert Speer à Berlin. La volonté de créer un homme nouveau est au coeur des idéologies fasciste et nazie. Bien sûr, "Mein Kampf "n'est pas une oeuvre d'utopie. Mais la volonté de purifier la "race des Aryens" par des pratiques eugénistes peut se rapprocher de l'utopie, dans ce que l’idée à de plus déplaisante. Tout comme le désir de contrôle total de l'individu par l'Etat jusqu'à en extirper toute volonté de distinction ainsi la Femme de verre du musée de Dresde, créée dans une perspective hygiéniste et éducative, a-t-elle pu finir par devenir l'emblème de cette horreur du secret et de la différence propre aux régimes totalitaires.

Germania, le "nouveau Berlin" imaginé par Albert Speer (1939-1945)
L'utopie se projette alors dans le temps, tout comme la contre-utopie qui renouvelle le genre littéraire. Alors que H. G. Wells imagine un État mondial socialiste fondé sur la science, Aldous Huxley dans "Le Meilleur des mondes" en 1932 ou George Orwell dans "1984" illustrent parfaitement les désillusions engendrées par les dérives des utopies contemporaines.

Entre rêve et cauchemar, les années 1960-1970 vont permettre de réinventer les utopies. Et au lieu de voir, comme certains le prétendent, la mort de l'utopie en cette fin de XXe siècle, peut-être faudra-t-il considérer l'utopie comme "la distance qu'une société est capable de prendre avec elle-même pour feindre ce qu'elle pourrait devenir" Roland Schaer.


Sources: Fiches pédagogiques BNF - Exposition présentée du 04 Avril au 09 Juillet 2000.

dimanche 8 avril 2012

Hymne à la vie - Mère Teresa (1910-1997)

Mère Teresa (1910-1997)
La vie est une chance, saisis la.
La vie est beauté, admire la.
La vie est béatitude, savoure la.

La vie est un rêve, fais en une réalité.
La vie est un défi, fais lui face.
La vie est un devoir, accomplis le.
La vie est un jeu, joue le.
La vie est précieuse, prends en soin.
La vie est une richesse, conserve la.

La vie est amour, jouis en.
La vie est mystère, perce le.
La vie est promesse, remplis la.
La vie est tristesse, surmonte la.
La vie est un hymne, chante le.
La vie est un combat, accepte le.
La vie est une tragédie, prends la à bras le corps.
La vie est une aventure, ose la.
La vie est bonheur, mérite le.
La vie est la vie, défends la.

mardi 3 avril 2012

Cœur - Charles Péguy (1873-1914)

Cœur qui a tant saigné d'amour, de haine
Oh cœur mal résigné de tant de peine
Cœur tant de fois flétri au dur labeur
Cœur tant de fois flétri au mois de mai

Cœur qui a fait le brave assez longtemps
Vieux seigneur, vieux burgrave, cœur de vingt ans
Cœur inaccoutumé, toujours déçu
Oh cœur inanimé, toujours naissant

Cœur tant de fois failli, cœur frauduleux
Cœur tant de fois jailli, cœur scrupuleux
Oh cœur sept fois perdu, cœur gracieux
Oh cœur sept fois sauvé, oh cœur ingrat

Cœur tant de fois mené, tambour battant
Oh cœur une fois né, cœur inconstant
Cœur qui a tant rêvé, oh cœur charnel
Oh cœur inachevé, cœur éternel

Cœur qui a tant battu, d'amour, d'espoir
Oh cœur trouveras-tu la paix du soir.

Cœur - La Ballade du cœur qui a tant saigné, Charles Péguy



Portrait de Charles Péguy par Jean-Pierre Laurens
Charles Pierre Péguy, né le 7 janvier 1873 à Orléans et mort au combat le 5 septembre 1914 à Villeroy, est un écrivain, poète et essayiste français. Il est également connu sous les noms de plume de Pierre Deloire et Pierre Baudouin.

Normalien, dreyfusard militant, membre du parti socialiste, il fonde les Cahiers de la Quinzaine en 1900, réfutant le marxisme et fustigeant le "parti intellectuel". Profondément mystique, il revient à la foi catholique en 1908 et fait plusieurs pèlerinages à Notre-Dame de Chartres. Sa prose ample, ses vers redondants ont un mouvement épique et prophétique. 

Son œuvre, multiple, comprend des pièces de théâtre en vers libres, comme Le Porche du Mystère de la deuxième vertu (1912), et des recueils poétiques en vers réguliers, comme La Tapisserie de Notre-Dame (1913), d'inspiration mystique, et évoquant notamment Jeanne d'Arc, un personnage historique auquel il reste toute sa vie profondément attaché. 

C'est aussi un intellectuel engagé : après avoir été militant socialiste, anticlérical puis dreyfusard au cours de ses études, il se rapproche du catholicisme à partir de 1908 et du conservatisme, et reste connu pour des essais où il exprime ses préoccupations sociales et son rejet de la modernité (L'Argent, 1913).

Charles Péguy naît en 1873 à Orléans dans une famille modeste: sa mère, Cécile Quéré, est rempailleuse de chaises, et son père, Désiré Péguy, est menuisier. Ce dernier meurt d'un cancer de l'estomac quelques mois après la naissance de l'enfant, qui est élevé par sa grand-mère et sa mère. De 1879 à 1885, il fréquente les classes de l'école primaire annexe de l'École normale d'instituteurs d'Orléans. L'ayant remarqué, le directeur de l'École normale, Théodore Naudy, le fait entrer en 1885 au lycée d'Orléans en lui faisant obtenir une bourse qui lui permet de continuer ses études. Pendant ces années passées à Orléans, Péguy suit des cours de catéchisme auprès de l'abbé Cornet, chanoine de la cathédrale. Au lycée Pothier, quoique bon élève, il se fait remarquer par son caractère : en avril 1889, le proviseur du lycée écrit sur son bulletin : « Toujours très bon écolier, mais j'en reviens à mon conseil du dernier trimestre : gardons-nous du scepticisme et de la fronde et restons simple. J'ajouterai qu'un écolier comme Péguy ne doit jamais s'oublier ni donner l'exemple de l'irrévérence envers ses maîtres.».

Il obtient finalement son baccalauréat le 21 juillet 1891. Demi-boursier d'État, Péguy prépare ensuite le concours d'entrée à l'École normale supérieure au lycée Lakanal, à Sceaux, puis à Sainte-Barbe. Il fréquente encore la chapelle du lycée Lakanal en 1891-1892. D'après son condisciple Albert Mathiez, c'est peu à la fin de cette période qu'il devient « un anticlérical convaincu et pratiquant ».

Il intègre l'École normale supérieure le 31 juillet 1894, sixième sur vingt-quatre admis. Il sera l'élève de Romain Rolland et de Bergson, qui auront une influence considérable sur lui. Il y affine également ses convictions socialistes, selon une vision personnelle faite de rêve de fraternité et de convictions tirées de sa culture chrétienne, qu'il affirme dès sa première année à l'École. Lorsque éclate l'affaire Dreyfus, il se range d'emblée du côté des dreyfusards. En février 1897, il écrit son premier article dans la Revue socialiste, et en juin 1897, achève d'écrire Jeanne d'Arc, pièce de théâtre ; œuvre en vue de laquelle il a fait un important travail de documentation.

En politique, après sa "conversion" au socialisme, Péguy soutient longtemps Jean Jaurès, son compagnon d'études à Normale sup', avant qu'il n'en vienne à considérer ce dernier, à cause de son pacifisme, comme un traître à la nation et à sa vision du socialisme. Le socialisme de Charles Péguy n'est pas un programme politique, et ne relève pas d'une idéologie plus ou moins fondée sur le marxisme ; pour Péguy, le socialisme choisi et formulé dès sa jeunesse est essentiellement un idéal rêvé de société d'amour et d'égalité entre les hommes.

Pour Péguy, la République se doit de poursuivre, par son organisation, ses exigences morales et donc son énergie, l'œuvre de progrès de la monarchie au service du peuple tout entier, et non pas au service de quelques-uns - comme la IIIe République le faisait selon lui, à cause de la faiblesse de son exécutif et de l'emprise abusive des partis. Son nationalisme est spontanément philo-judaïque par fidélité à nos racines autant judéo-chrétiennes que gréco-romaines.

Par conviction, il s'oppose fermement à cet "universalisme facile" qui commence, à ses yeux, à marquer la vie économique et culturelle: "Je ne veux pas que l'autre soit le même, je veux que l'autre soit autre". Pour Péguy, tout ce qui relève de la confusion et du désordre enchaîne ; ce sont l'ordre, l'organisation, la rationalité qui libèrent.

L'œuvre de Péguy célèbre avec flamme des valeurs qui pour lui sont les seules respectueuses de la noblesse naturelle de l'homme, de sa dignité et de sa liberté : d'abord, son humble travail, exécuté avec patience, sa terre cultivée avec respect, sa famille ("le père de famille, aventurier du monde moderne"). Ce sont là ses valeurs essentielles, liées à son patriotisme et sa foi dans une République qui serait enfin forte, généreuse et ouverte. Et c'est précisément là, pour lui, que dans une action résolue, se rencontre Dieu. C'est à ce titre que Péguy peut apparaître comme un théologien, chantre des valeurs de la nature créée par un Dieu d'amour.

La réforme scolaire de 1902, portant sur les humanités modernes et l'enseignement secondaire unique, est sans doute la première occasion à laquelle Péguy exprime aussi violemment son rejet du monde moderne. Péguy critique dans la modernité d'abord la vanité de l'homme qui prétend remplacer Dieu, et un avilissement moral largement inévitable, en raison surtout de la part donnée à l'argent et à l'âpreté mise dans sa recherche et son accumulation ; un monde qui tourne le dos aux humbles vertus du travail patient de l'artisan ou du paysan.

Lieutenant de réserve, il part en campagne dès la mobilisation en août 1914, dans la 19e compagnie du 276e régiment d'infanterie. Il meurt au combat la veille de la bataille de la Marne, tué d'une balle au front, le samedi 5 septembre 1914 à Villeroy (ou au Plessis-l'Évêque), près de Neufmontiers-lès-Meaux, alors qu'il exhortait sa compagnie à ne pas céder un pouce de terre française à l'ennemi.

En France, de nombreuses rues portent aujourd'hui le nom de Charles Péguy; celui-ci a également été attribué à plusieurs établissements scolaires. Une grande partie des archives concernant Péguy sont rassemblées au Centre Charles Péguy d'Orléans, fondé par Roger Secrétain en 1964. On y trouve notamment la quasi-totalité de ses manuscrits. (Site internet du centre Centre Charles Péguy d'Orléans).

 Site internet sur Charles Péguy ici