mardi 28 août 2012

Les lendemains qui chantent - Fred Vargas (1957-)

Nous y voilà, nous y sommes.

Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes.

Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal.

Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d'insouciance, nous avons chanté, dansé. Quand je dis « nous », entendons un quart de l'humanité, tandis que le reste était à la peine.

Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusé.

On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu. Franchement on s'est marré.

Franchement on a bien profité.

Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre.

Certes.

Mais nous y sommes.

A la Troisième Révolution.

Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie.

« On est obligé de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.

Oui.

On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis. C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies. La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau. Son ultimatum est clair et sans pitié : Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu portées sur la danse).

Sauvez-moi ou crevez avec moi.

Évidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix, on s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et honteux.

D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de s'amuser encore avec la croissance.

Peine perdue.

Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais.

Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, – attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille, récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est quand même bien marré).

S'efforcer.

Réfléchir, même.

Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.

Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde.

Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.

Pas d'échappatoire, allons-y.

Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante. Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas incompatible.

A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie –une autre des grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut-être.

A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.

A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore."

Fred Vargas - Archéologue et écrivain
Septembre 2008




Fred Vargas est née à Paris en 1957. Fred est le diminutif de Frédérique. Vargas est son nom de plume pour les romans policiers. Sa sœur jumelle, Jo, peintre, a également adopté ce pseudonyme de Vargas, et c'est même elle qui la première le trouva, l'empruntant au personnage joué par Ava Gardner dans La Comtesse aux Pieds Nus. Pendant toute sa scolarité Fred Vargas ne cesse d'effectuer des fouilles archéologiques ; après le bac elle choisit de faire des études d'Histoire. Elle s'intéresse à la préhistoire, puis choisit de concentrer ses efforts sur le Moyen Âge. Actuellement ses recherches d'historienne-archéologue portent sur les ossements animaux du Moyen Âge. Quand elle parle de sa formation, la personnalité et l'enseignement de son père y tiennent un rôle déterminant. Elle a débuté sa "carrière" d'écrivain de roman policier par un coup de maître. Son premier roman Les Jeux de l'Amour et de la Mort, sélectionné sur manuscrit, reçut le Prix du roman policier du Festival de Cognac en 1986 et fut donc publié aux éditions du Masque.

jeudi 23 août 2012

Faut-il manger les animaux ? - Jonathan Safran Foer (1977-)

Editions de l'Olivier
Les Américains aiment les animaux. Vivants (46 millions de chiens et 38 millions de chats domestiques, 170 millions de poissons en aquarium), en liberté dans la nature, mais aussi souvent pour les abattre. Morts et mangés chaque année 35 millions de bœufs, 115 millions de porcs et 9 milliards de volailles.

Longtemps, Jonathan Safran Foer, 33 ans, écrivain mondialement célébré pour ses romans "Tout est illuminé" et "Extrêmement fort et incroyablement près", n'a pas aimé les animaux et a mangé de la viande. Sans penser à ce que cela signifiait et à la façon dont un animal était réduit à un quantum de calories. Puis il a découvert que cela n'allait pas de de soi, sous le coup de deux révélations personnelles: une grand-mère qui, mourant de faim, refusa de manger du porc; un fils qu'il découvrit ébahi se jeter sur le sein maternel... Il s'est alors demandé: quel sens cela a-t-il aujourd'hui de manger des animaux ?

Pour en tirer, aujourd'hui, non un pamphlet ou une polémique, mais un essai, au sens de Montaigne.

La nourriture lie entre eux les membres d'une famille et les générations, ce qu'on appelle une culture. Mais la viande ? Plus que toute autre nourriture, un aliment chargé de sens, "un mélange de terreur, de dignité, de gratitude, de vengeance, de joie, d'humiliation, de religion, d'histoire et, bien entendu, d'amour".

La réflexion de Foer n'est pas radicale. Il ne considère pas que les animaux aient des droits sur les hommes, mais que l'homme a des devoirs envers eux. Non pas le devoir de ne pas les manger (il reconnaît le poids ancestral qui fait que dans toutes les cultures l'homme est un loup pour l'animal), mais de les traiter de façon digne à tous les stades qui précèdent l'ingestion de leur chair: reproduction, élevage, abattage. Il maintient la différence symbolique instaurée par toutes les religions: "Même si nous sommes comme eux, ils ne sont pas nous". Cela nous autorise-t-il à les tuer, à les faire souffrir, puis à les manger ? Depuis des millénaires, l'homme tue pour manger la chair des bêtes et considère qu'elles sont là pour ça. Vivre, c'est tuer, mais ne peut-on vraiment pas faire autrement ?

Ajoutant à l'interrogation d'un penseur du quotidien le style d'un grand écrivain, Foer livre ici le récit des invraisemblables horreurs observées en trois ans d'enquête dans les élevages industriels et les abattoirs. Après avoir lu son réquisitoire, mangeurs de viande, vous n'êtes pas obligés de plaider coupable. Mais, en mangeant du fried chicken au fast-food du coin, vous ne pourrez plus dire que vous ne saviez pas...

Élevage de poulets en batterie

Interview de Jonathan Safran Foer

Jonathan Safran Foer: J'écris toujours sur ce que je ressens, sur ce qui me soucie, sur le futur, plus que sur le passé. Sur mes peurs. On écrit toujours un seul et même livre, mais, dans ce cas, l'imagination seule ne suffisait pas à exprimer ce que je voulais dire. Il y a bien de l'imagination dans ce livre, mais c'est celle des gens qui fabriquent la viande industriellement. J'ai mené dans le monde souterrain de l'élevage des animaux de boucherie et dans les abattoirs une enquête de trois ans. 

Si j'avais écrit un roman, on l'aurait pris pour un roman de science-fiction, tellement les gens qui organisent ce système déploient une imagination folle pour arriver à leurs fins. Très souvent, tandis que je me documentais par des ouvrages scientifiques ou des rapports officiels, je me suis interrompu en disant à ma femme: "Lis! c'est absolument incroyable!" . Dans un roman, on ne m'aurait pas cru.




Je ne conclus pas, j'expose. Manger de la viande pollue la planète, contribue à la dégradation climatique et à l'extension de la faim tout en ruinant nos santés. La situation du poisson n'est pas moins préoccupante: les scientifiques disent que si l'on continue la pêche comme aujourd'hui, dans deux cent quarante ans il n'y aura plus de poissons sur cette planète.

Depuis des millénaires jusqu'à il y a une cinquantaine d'années, l'homme, pour élever des bêtes et manger leur chair, imitait la nature. L'invention de la nourriture carnée industrielle est fondée sur l'idée que la nature est un obstacle à la productivité. Il n'y a plus de fermiers, mais des managers, des usines d'élevage, d'abattage, de découpe et de conditionnement dont les responsables n'ont plus aucune notion de ce qu'est un animal. Ils n'ont qu'une pensée: comment gagner plus en dépensant moins, et s'ils pensent que des animaux malades leur feront gagner plus que des animaux sains, ils le font. S'ils pensent que cela revient moins cher d'élever des animaux hors nature, à l'intérieur, sans voir le jour, ils le font. S'ils pensent qu'on peut les nourrir avec autre chose que de l'herbe et du fourrage, ce que jamais un fermier n'aurait pu penser il y a cinquante ans, ils le font et les nourrissent de maïs ou de tourteaux de soja, ou même de résidus animaux, faisant d'espèces herbivores des carnivores malgré elles.

Savez-vous qu'un poulet dans la nature vit dix ans et celui que vous mangez au McDonald's, quarante-cinq jours ? S'il vivait plus longtemps, ses pattes se casseraient sous son poids.

Une fois sur trois, un animal est abattu dans des conditions cruelles en infligeant une souffrance inutile. La cruauté n'est pas le fait de ceux dont le métier est d'abattre des animaux. Je crois plutôt qu'ils sont pris dans une situation impossible. Comme les fermiers d'ailleurs, ils ont sans doute vécu avec des animaux, mais les conditions de l'abattage font qu'ils doivent procéder le plus vite possible, quelle que soit la souffrance infligée aux animaux. Ils sont aliénés au processus et aux produits. Ce qui me fait le plus plaisir, c'est que les réactions les plus favorables à mon livre sont venues de fermiers. Ils aiment les animaux et s'en tiennent aux techniques ancestrales. Les fermes industrielles n'ont qu'une idée: se débarrasser des agriculteurs.

Je ne fais aucune recommandation. Mais l'aspect moral existe. La façon de traiter les animaux que nous mangeons dégrade notre être moral. Schopenhauer disait que l'homme est le moins animal parmi les animaux parce que le seul à tuer non pour manger mais pour tuer. Et le problème n'est pas seulement la viande, c'est le problème des animaux. Les bananes, les jeans, le lait de soja, le papier utilisé pour imprimer les magazine, l'écran de votre ordinateur, partout il y a de l'animal dans ces objets. Il est difficile de ne pas penser à l'impact de nos consommations sur l'ensemble du règne animal.

Il est vrai que les pauvres ne peuvent pas manger de la bonne viande élevée et abattue correctement, mais dans tous les menus de tous les restaurants il y a des plats végétariens qui sont toujours beaucoup moins chers que la mauvaise viande et aussi riches en protéines...

Quand avez-vous commencé à vous interroger sur la viande ?

Je me suis toujours senti concerné mais, comme la plupart des gens, davantage comme spectateur que comme participant. Je ne suis ni meilleur ni pire que les autres. Je me sens concerné aussi par les guerres mais la question de la nourriture est différente : c'est quelque chose qui m'oblige à prendre des décisions plusieurs fois par jour. Des choix inévitables. Les gens me demandent souvent pourquoi j'ai écrit un livre au sujet des animaux et pas des génocides par exemple, comme si on ne pouvait pas s'intéresser à plusieurs choses à la fois. Bien sûr que je m'intéresse aussi aux génocides ou à la faim dans le monde mais j'ai écrit ce livre autour des animaux et de l'élevage parce qu'il y a un silence très étrange, insoutenable, qui entoure la question de la viande.

Il y avait urgence à nous informer ?

Les gens imaginent en savoir plus que ce qu'ils savent vraiment. Instinctivement, ils sentent quelque chose mais ne connaissent pas la vérité dans ses détails. Or, elle peut changer nos vies. Qui se fiche de la qualité de l'air ou de l'eau ? L'élevage industriel est la cause première du réchauffement climatique, peu le savent précisément.

Il arrive que les animaux qu'on nous vend soient malades...

Ils le sont tous ! La chose la plus bizarre au sujet de cette industrie n'est pas qu'il puisse arriver des choses exceptionnelles, c'est que l'exception soit la règle. Et c'est délibéré, ce n'est pas accidentel. Il existe une compagnie aux Etats-Unis qui concentre à elle seule 7000 accusations de violations de la propreté de l'eau. Si vous avez dix violations, c'est mal, mais 7000 c'est un plan. Deux poulets élevés sur trois ne peuvent pas marcher. Ce n'est pas un accident, c'est délibéré. Ces animaux sont élevés pour devenir tellement gros qu'ils finissent par ne plus pouvoir marcher. Les fermiers ne sont ni méchants ni sadiques - je les ai rencontrés -, mais la règle de ce business est le profit. Et les animaux malades génèrent plus de profits que les animaux en bonne santé. Les fermes qui détruisent l'environnement gagnent plus d'argent que les fermes qui y font attention.

D'autre part, le lobby des fermes industrielles est extrêmement puissant. Ils ont 2000 lobbyistes à plein temps et dépensent des centaines de millions de dollars en publicité, en congrès. Quand mon livre est sorti, j'ai eu un email de plusieurs groupes industriels me disant qu'ils devaient se protéger du lobby végétarien hyperpuissant (rires). J'ai fait des recherches et une telle chose n'existe pas. Ça en dit long sur leurs mensonges. Quand on voit une étiquette sur les paquets de viande qui dit "happy cow" (vache heureuse), c'est un mensonge. Le marché de la viande est un commerce basé sur le mensonge.




Vous démontrez que même les termes "bio" ou "élevées en plein air" sur les boîtes d'oeufs sont faux...

"Elevées en plein air", ça ne veut rien dire. C'est juste une étiquette qui donne aux gens l'envie d'acheter. Pas parce que ces œufs sont meilleurs (ils ne le sont pas) ou parce que c'est meilleur pour leur santé (ça ne l'est pas). Ils achètent parce qu'instinctivement ils pensent que c'est la bonne chose à faire. Parce qu'ils savent que ce n'est pas bien de garder un animal dans une cage de la taille d'un ballon de foot.

Vous montrez que même manger du poisson participe d'une destruction de l'environnement. Il n'y a pas d'issue aujourd'hui sinon d'être végétalien ?

Je ne dis pas exactement cela. Moi-même, je ne suis pas parfaitement cohérent. Je ne mange ni viande ni poisson mais il m'arrive de manger des œufs et de boire du lait. On peut toujours dire aux autres que c'est terrible et qu'il faut devenir végétarien, sauf que le monde ne va pas devenir végétarien du jour au lendemain. Mieux vaut essayer d'être le moins dupe possible du système. Au lieu de déclarer qu'on va devenir végétarien, ce qui est peu vraisemblable, commençons déjà par réduire notre consommation de viande. Si les Américains mangeaient un plat de viande en moins par semaine, en termes de pollution cela reviendrait à supprimer six millions de voitures sur la route. Ça, c'est possible.

Ce qui est formidable avec ce problème, c'est qu'il est très facile à résoudre : on n'a pas besoin d'aller mettre le feu aux fermes industrielles, ni d'élire un nouveau gouvernement, ni de dépenser des millions. Tout ce qu'on a à faire, c'est manger moins de viande.

Ne pensez-vous pas que les gens sont de plus en plus indifférents ?

Au contraire, ils n'ont jamais été autant intéressés par l'éthique. Le problème, c'est l'accès aux informations, très difficile. Pour en obtenir, il a fallu que je me rende dans ces fermes par effraction, au milieu de la nuit, entièrement habillé en noir pour ne pas me faire repérer. Comment blâmer quelqu'un de ne pas savoir ? Dans les collèges américains aujourd'hui, il y a plus de végétariens que de catholiques, c'est devenu un vrai phénomène politique. Quand ces 18% de végétariens vont devenir actifs, vont devenir les journalistes ou les politiciens de demain, le point de vue sur la question de la viande va complètement changer.


Il y a dix ans, quand vous disiez à des amis que vous étiez végétarien, ils vous en demandaient la raison. Aujourd'hui, plus de problème. Dans dix ans, la question sera : "Pourquoi mangez-vous de la viande tout le temps ?". La consommation de la viande va évoluer comme celle du tabac aujourd'hui : légale mais régulée.
Il faut avoir un accès total à l'information. Sur un paquet de cigarettes, on a la composition de la clope et une étiquette prévenant des dangers que fumer représente. Sur un paquet de viande, on trouve l'image d'une ferme heureuse. C'est fou ! Il faudrait une étiquette disant que manger de la viande issue d'animaux élevés en ferme industrielle est la première cause de pollution de l'eau et de l'air, du réchauffement climatique, que cela rend nos antibiotiques moins efficaces (car les animaux en sont bourrés) et que manger de la viande provoque les causes de mort les plus courantes (cancer, crise cardiaque...). Pourquoi ces informations seraient moins importantes que la composition des cigarettes ?

Pourquoi écrire cet essai à travers votre rapport personnel à la nourriture ?

Parce que je ne suis pas plus parfait qu'un autre. J'aime la viande, je ne suis pas contre le fait de tuer des animaux mais je me soucie de leur bien-être et je suis conscient de la signification culturelle des aliments. Si vous dites non à un plat, vous faites plus que refuser des calories : vous changez une histoire, celle d'un pays ou celle de votre famille. Mais si le goût et les codes culturels ont de la valeur, il me semble que certaines choses en ont plus aujourd'hui, comme essayer de changer nos idéaux, être éthiques.

Je n'aime pas particulièrement les animaux à part mon chien, je n'ai pas de passion particulière pour les poulets ou les vaches mais il y a certaines choses qu'on ne doit pas leur faire. Si vous prenez une centaine de personnes en France, tous horizons confondus, et que vous leur demandez si ça leur paraît bien de manger de la viande, 98% vont répondre oui. Maintenant, demandez à ces mêmes personnes si c'est bien de garder une truie enceinte dans une cage si petite qu'elle ne peut même pas se retourner pour accoucher : 98% vous répondront non. Ce qu'il faut, c'est poser les bonnes questions. Des questions pragmatiques, pas philosophiques.

Quelle est la chose la plus choquante que vous ayez vue au cours de votre enquête ?

A quel point l'horreur est systématique ! En Amérique, 99% des animaux que l'on mange viennent de ces fermes-usines. En France, 93 ou 94%. En Allemagne, 95 ou 96%. En Europe, l'Allemagne et le Danemark sont les pires mais c'est un problème global.

Comment ces lobbies ont-ils réagi à la sortie de votre livre ?

J'ai eu deux avocats pour suivre le livre, mon éditeur également car nous étions convaincus que l'industrie allait nous attaquer - c'est habituellement ce qu'ils font. Et là, aucune réaction. Pourtant, ça a été un gros truc aux Etats-Unis, le livre figurait sur la liste des best-sellers du New York Times et a dû se vendre à quelque 300 000 exemplaires. Donc ils savaient. S'ils n'ont pas contesté, est-ce parce qu'ils ne veulent pas poursuivre la discussion ? Ils savent que plus on en parle, plus les gens vont se mettre à penser à la question de la viande. Qu'est-ce qu'un commerce basé sur le fait que les gens ne doivent pas penser ? 





Extraits du Livre

39 tonnes de merde par seconde

"Les animaux d'élevage aux Etats-Unis produisent cent trente fois plus de déchets que la population humaine - environ 39 tonnes de merde par seconde. Pourtant, il n'existe presque aucune infrastructure de retraitement des déchets. Simplement des champs d'épandage, dont les écoulements se déversent dans des cours d'eau, ou bien des fosses grandes comme des terrains de football prêtes à déborder, ou encore on se contente parfois de diffuser les déjections directement dans l'air, un geyser de merde émettant une fine brume fécale qui engendre des gaz tourbillonnants susceptibles de provoquer de graves dégâts neurologiques".

Le fait d'être humain

"La question de manger des animaux fait vibrer des cordes qui entrent en résonance profonde avec le sentiment que nous avons de nous-mêmes, nos souvenirs, nos désirs, nos valeurs. Ces résonances sont potentiellement sujettes à controverse, potentiellement menaçantes, potentiellement exaltantes, mais toujours chargées de sens. La nourriture importe, les animaux importent, et le fait de s'en nourrir importe plus encore. La question de manger des animaux dépend, au bout du compte, de la perception que nous avons de cet idéal que nous appelons, peut-être pas imparfaitement, "le fait d'être humain"."

Manger du porc ? Plutôt mourir

"Écoute-moi, dit la grand-mère:
- Le pire ça été vers la fin de la guerre. Beaucoup de gens mouraient à ce moment-là et chaque jour je ne savais pas si j'aurais la force de survivre jusqu'au lendemain. Un fermier, un Russe, Dieu le bénisse, quand il m'a vue dans cet état, il est rentré chez lui chercher un morceau de viande qu'il m'a donné.
- Il t'a sauvé la vie.
- Je ne l'ai pas mangé.
- Tu ne l'as pas mangé?
- C'était du porc. Je ne mange jamais de porc.
- Pourquoi?
- Comment ça, pourquoi?
- Quoi, parce que ce n'est pas kasher?
- Évidemment!
- Pas même si ça te sauvait la vie?
- Si plus rien n'a d'importance, il n'y a rien à sauver."

dimanche 19 août 2012

Le chant des partisans - Joseph Kessel (1898-1979), Maurice Druon (1918-2009), Anna Marly (1917-2006)


Ami, entends-tu
Le vol noir des corbeaux
Sur nos plaines?
Ami, entends-tu
Les cris sourds du pays
Qu'on enchaîne?
Ohé! partisans,
Ouvriers et paysans,
C'est l'alarme!
Ce soir l'ennemi
Connaîtra le prix du sang
Et des larmes!

Montez de la mine,
Descendez des collines,
Camarades!
Sortez de la paille
Les fusils, la mitraille,
Les grenades...
Ohé! les tueurs,
A la balle et au couteau,
Tuez vite!
Ohé! saboteur,
Attention à ton fardeau:
Dynamite!

C'est nous qui brisons
Les barreaux des prisons
Pour nos frères,
La haine à nos trousses
Et la faim qui nous pousse,
La misère...
Il y a des pays
Ou les gens au creux de lits
Font des rêves;
Ici, nous, vois-tu,
Nous on marche et nous on tue,
Nous on crève.

Ici chacun sait
Ce qu'il veut, ce qu'il fait
Quand il passe...
Ami, si tu tombes
Un ami sort de l'ombre
A ta place.
Demain du sang noir
Séchera au grand soleil
Sur les routes.
Sifflez, compagnons,
Dans la nuit la Liberté
Nous écoute...





La Liberté guidant le peuple (détail) - Eugène Delacroix - Musée du Louvre


Le chant des partisans (1943) 
Joseph Kessel (1898-1979), Maurice Druon (1918-2009), Anna Marly (1917-2006) 



Le Chant des partisans ou Chant de la libération est l’hymne de la Résistance française durant l’occupation par l’Allemagne nazie, pendant la Seconde Guerre mondiale. Créé en 1943, les paroles sont de Joseph Kessel et de Maurice Druon, et la musique est composée par Anna Marly.

L’idée de la mélodie du Chant des Partisans est de la chanteuse et compositrice Anna Marly qui le reprend en 1943 à Londres, car celui-ci existait déjà au moment des périodes de soulèvements bolcheviques en Russie. Ainsi, elle compose la musique et les paroles originales dans sa langue maternelle, le russe. Puis Joseph Kessel et son neveu, Maurice Druon, tous deux auteurs ayant quitté la France pour rejoindre l’Angleterre et les Forces françaises libres du général de Gaulle, et futurs académiciens, récrivent les paroles, ayant proposé la variante française du texte le 30 mai.

Devenu l’indicatif de l’émission de la radio britannique BBC Honneur et Patrie, puis signe de reconnaissance dans les maquis, Le Chant des partisans devient un succès mondial. On choisit alors de siffler ce chant, d'abord pour ne pas être repéré en la chantant mais aussi car la mélodie sifflée reste audible malgré le brouillage de la BBC effectué par les Allemands.

C'est la sœur de Jean Sablon, Germaine, qui l'amène à sa forme finale et en fait un succès.

Largué par la Royal Air Force sur la France occupée, et écouté clandestinement, ce succès se répand immédiatement tant en France qu'ailleurs dans les milieux de la Résistance et des Forces françaises de l'intérieur. Il se prolonge dans de nombreuses interprétations postérieures à la guerre, dont celle d'Yves Montand est une des plus célèbres.

Créée par la même équipe, La Complainte du partisan connaît un succès populaire en France dans les années 1950 mais s’efface devant Le Chant des partisans, relancé par André Malraux lors de la cérémonie d’entrée des cendres de Jean Moulin au Panthéon de Paris le 19 décembre 1964.

Le manuscrit original du Chant des partisans, propriété de l'État, est conservé au musée de la Légion d'honneur. Il est classé monument historique au titre objets par un arrêté du ministère de la Culture du 8 décembre 2006.

Anna Marly chante "Le chant des partisans" (en russe)

vendredi 10 août 2012

L'UNESCO et la Tolérance

 
Le 16 novembre 1995, date du cinquantième anniversaire de l'Organisation, les États membres de l'UNESCO ont adopté une Déclaration de principes sur la tolérance. Ils y affirment notamment que la tolérance n'est ni complaisance ni indifférence. C'est le respect et l'appréciation de la richesse et de la diversité des cultures de notre monde, de nos modes d'expression et de nos manières d'exprimer notre qualité d'êtres humains.
 
La tolérance est la reconnaissance des droits universels de la personne humaine et des libertés fondamentales d'autrui. Les peuples se caractérisent naturellement par leur diversité; seule la tolérance peut assurer la survie de communautés mixtes dans chaque région du globe.Tout comme l'injustice et la violence caractérisées, la discrimination et la marginalisation sont des formes courantes d'intolérance.

 
L'éducation à la tolérance doit viser à contrecarrer les influences qui conduisent à la peur et à l'exclusion de l'autre, et doit aider les jeunes à développer leur capacité d'exercer un jugement autonome, de mener une réflexion critique et de raisonner en termes éthiques. La diversité des nombreuses religions, langues, cultures et caractéristiques ethniques qui existent sur notre planète ne doit pas être un prétexte à conflit; elle est au contraire un trésor qui nous enrichit tous.

Source: site de l'Unesco