mercredi 25 décembre 2013

L'Homme peut-il disparaître ?

Il est 23 h 54 sur l'horloge de l'apocalypse. Dans 6 Minutes, le monde finira. Créée en 1947, peu de temps après l'explosion de la bombe atomique, cette pendule, qui se trouve à l'université de Chicago, est réglée au gré des menaces - nucléaires, techniques ou écologiques - pesant sur l'humanité. 

En janvier dernier, elle a été reculée d'une minute afin de souligner l'effort fourni par la communauté internationale dans la lutte contre le réchauffement climatique... Au-delà du symbole, elle met en lumière la peur permanente qu'éprouve l'homme face à sa propre extinction. Une peur savamment entretenue par des catastrophistes en mal de sensationnalisme, mais aussi par des scientifiques réputés. Ainsi, l'astrophysicien Stephen Hawking a récemment déclaré que l'espèce humaine, si elle ne veut pas disparaître, devrait coloniser l'espace dans les 200 prochaines années. 

En parallèle, une avalanche de films et livres met régulièrement en scène les menaces futures - l'hiver nucléaire dans la Route. les dérèglements climatiques dans le Jour d'après... - et imaginent la vie après la catastrophe. Si ces œuvres portent souvent un regard pessimiste sur une humanité capable de s'autodétruire, elles démontrent aussi la faculté de l'homme à survivre. Car au cours de l'histoire, il a toujours réussi à s'en sortir...

Aura-t-il la même chance à l'avenir? Les scientifiques scrutent avec attention les dangers pour les siècles à venir. Des dangers réels mais heureusement peu probables ! Et si un astéroïde finissait par nous tomber dessus? Après tout, deux d'entre eux ont frôlé la Terre le 8 septembre dernier et ils n'avaient été détectés que trois jours plus tôt... 


Comment réagirions nous après un cataclysme de ce type ? Logiquement, Nous chercherions d'abord de l'eau et de la nourriture. Ensuite, les femmes, plus sociables, préféreraient partir à la recherche d'autres survivants et stocker des vivres, alors que les hommes, après avoir fabriqué des outils pour chasser, jugeraient essentiel de repeupler la Terre rapidement! Bref, nous retrouverions les réflexes des hommes préhistoriques. Une époque où la nature faisait loi. Si les humains disparaissaient, elle reprendrait vite ses droits. Nos traces, nos constructions, notre culture s'effaceraient en quelques siècles. Une vision prospectiviste qui incite à réfléchir sur la fragilité humaine.



Nous ne sommes pas passés très loin de l'extinction

L'homme est un survivant. A plusieurs reprises, il est passé à deux doigts de l'extinction. Les généticiens évoquent plusieurs "goulets d'étranglement", des périodes critiques au cours desquelles il a failli disparaître à cause d'un nombre trop faible d'individus en âge de procréer. Le plus ancien remonterait à 1,2 million d'années,le plus récent à 70 000 ans. André Laganey, généticien au Muséum national d'histoire naturelle confirme notre fragilité: "Les sept milliards d'humains actuels ont un génome peu diversifié. Il semble donc que l'humanité soit issue d'une seule population. qui comptait seulement 5 000 à 10 000 reproducteurs et vivait il y a 300 000 à 80 000 ans". L'existence des hommes préhistoriques était précaire. surtout lorsqu'ils n'avaient pas encore quitté l'Afrique. "Concentrés géographiquement, ils étaient à la merci du premier astéroïde venu ou d'une maladie." ajoute André Langaney. Mais pour lui, ces faibles effectifs sont logiques car, à l'époque, ils étaient chasseurs-cueilleurs. "Ils avaient besoin d'un grand territoire, sous peine de surexploiter leur milieu naturel. Un peu comme les loups, les rapaces et les grands singes actuels."


Homo Sapiens
Homo sapiens l'a donc échappé belle... Mais il n'est pas au bout de son parcours du combattant. En effet, l'homme moderne est la seule branche survivante d'un buisson évolutif. D'autres espèces proches de la nôtre se sont éteintes. Le plus célèbre de ces disparus n'est autre que Neandertal. En effet, quand Homo sapiens met le pied en Europe il y a 40 000 ans, Neandertal, son lointain cousin, s'y trouve déjà depuis 450 000 ans. Pendant des centaines de milliers d'années. cet homme robuste et chasseur émérite résiste aux aléas, notamment climatiques. Il développe une culture élaborée. offre des sépultures à ses morts, fabrique des parures... Après l'arrivée d'Homo sapiens, les deux espèces humaines se côtoient pendant 12 000 ans, puis Neandertal disparaît. Que s'est-il passé ?

Dans les explications évoquées, Homo sapiens porte toujours une part de responsabilité. Pour certains spécialistes, il aurait apporté avec lui des maladies contre lesquelles Neandertal n'était pas immunisé. D'autres évoquent un violent conflit entre les deux lignées, une compétition pour la nourriture ou une technologie plus sophistiquée chez Homo sapiens (Cro-Magnon). "Par exemple, il fabriquait des pointes en os." explique Pascal Depaepe, spécialiste de l'homme de Neandertal. "Plus légères que les pointes de silex, elles lui permettaient de chasser à distance, en lançant son arme, ce qui est moins risqué qu'à l'épieu. c'est-à-dire à bout de bras, la technique de Neandertal". Malgré tout, cette disparition demeure une énigme. "Même s'il s'agissait d'une "autre"humanité, le fait qu'elle s'éteigne, après des dizaines de milliers d'années d'une parfaite adaptation à son milieu, nous interroge sur l'avenir de la nôtre". analyse Pascal Depaepe.


Les épidémies engendrent processions et automutilations...

Des dizaines de millénaires plus tard, la population a tellement augmenté que l'homme ne semble plus risquer l'extinction. Pourtant, au Moyen-âge, la peste noire va remettre en question sa survie. Propagée par des galères génoises puis véhiculée le long des voies commerciales, la maladie se répand au Moyen-Orient et dans toute l'Europe. "En sept ans, de 1346 à 1353, le tiers de la population européenne est emporté, soit 25 millions de personnes", raconte l'historien Stéphane Barry. Interprétée comme une punition divine, la peste entraîne des manifestations collectives de piété: processions, automutilations de «flagellants» , qui se fouettent jusqu'au sang pour expier leurs péchés avant le Jugement dernier... "Bon nombre de contemporains de cette épidémie ont cru que la fin des temps était arrivée", souligne Stéphane Barry.

Au-delà du choc démographique, la maladie a bouleversé la société: des ordres religieux et des familles puissantes ont été décimés, les richesses ont parfois changé de main, etc. Par sa violence, la peste noire est considérée comme la pire épidémie de l'histoire. Pourtant, la variole, importée par les colons espagnols aux Amériques. a fait plus de victimes : elle aurait décimé 90 % des Indiens au Mexique. L'épidémie a précipité le déclin de leur société. La fin d'un monde, en quel que sorte.

Au cours de l'histoire, des civilisations brillantes - les Egyptiens, les Minoens... - ont périclité après des siècles ou des millénaires de prospérité. Prenons l'île de Pâques. En 900, elle est colonisée par des populations polynésiennes, qui organisent la société en territoires, dominés par des chefs puissants. Très vite, ils commencent à édifier les fameux "moai", ces statues colossales sculptées dans la roche volcanique. Mais lorsque les Blancs débarquent sur l'île.. la civilisation pascuane n'est déjà plus que l'ombre d'elle-même: les chefs ont été détrônés, les statues brisées, la population souffre de malnutrition et les cas de cannibalisme sont fréquents. "En 1872, il ne reste que 111 Pascuans", précise Jared Diamond, auteur d'"Effondrement". Ce biologiste considère essentiels les dommages sur l'environnement pour expliquer l'extinction des sociétés. Selon lui, sur l'île de Pâques, la déforestation empêcha les habitants de construire des pirogues pour pêcher, entraîna l'érosion du sol et une diminution des récoltes. Confrontée à la famine, la société pascuane entra dans une guerre entre clans, qui précipita sa chute... D'autres éléments entrent en ligne de compte, notamment les maladies venues d'Europe au XVIIIe siècle...

Statues de l'Ile de Pâques - Océan Pacifique


En Europe, nos langues romanes sont héritées des sociétés antiques. Un scénario analogue s'est joué chez les Mayas aux alentours de 800. Des chercheurs ont montré que la période de grandeur coïncide avec des étés bien arrosés, favorables aux cultures. A l'inverse, le IXe siècle est marqué par plusieurs sécheresses consécutives, qui auraient entraîné l'abandon des villes et le déclin, du moins sur une partie du territoire. Certes, d'autres facteurs expliquent aussi son affaiblissement, comme c'est le cas pour toute civilisation: invasions étrangères, guerres intestines, catastrophes naturelles ou épuisement des ressources. Des mots qui font écho à notre époque, même si notre civilisation est aujourd'hui mondialisée...

Plus que d'effondrement, certains spécialistes considèrent d'ailleurs qu'il s'agit d'évolution, de renouvellement des sociétés. D'autant qu'une civilisation ne s'efface jamais totalement. Ainsi, en Europe, nos langues romanes ou nos systèmes politiques sont hérités des sociétés antiques. Bref, nous sommes tous un peu romains !


Les sociétés sont résilientes

Norman Yoffee, anthropologue, professeur à l'Université du Michigan (USA), explique: "Habituellement, quand on parle d'effondrement, on pense à des grandes villes prospères, qui sont abandonnées et à des Etats centralisés qui chutent. Mais il n'existe pas d'exemple d'extinction de civilisation. Les empires s'effondrent mais les individus restent.En Mésopotamie, par exemple, à cause des luttes internes et des invasions étrangères, des dynasties sont tombées, d'autres sont apparues, les villes ont changé, etc. Mais même avec la conquête de Cyrus le Perse puis d'Alexandre le Grand, les cités ont persisté. Certes, les habitants ont commencé à parler le persan ou le grec et adopté de nouvelles croyances, mais c'était un avantage pour eux. De même, on parle souvent de l'île de Pâques. Or les Pascuans existent toujours et sont attachés à leur passé".

Jared Diamond pense que "les civilisations s'effondrent car les habitants prennent des décisions à court terme qui affectent l'environnement à long terme. En fait, les humains ont toujours altéré leur environnement, exterminé des animaux, coupé des forêts. Mais cela n'a jamais suffi à entraîner une forte diminution de la population. Les sociétés sont résilientes. Elles réussissent toujours à former de nouveaux États et à changer leur mode de vie. Autrefois, les sociétés avaient peu de moyens pour détruire l'environnement, faute de technologie notamment. Aujourd'hui, nous sommes en mesure de saper les bases sur lesquelles notre civilisation est construite. Heureusement, comme l'a montré le passé, les humains ne sont pas impuissants face à leurs erreurs. Nous devons changer notre façon de vivre. C'est la clé de notre propre résilience en tant que civilisation."



Les sept scenarii réalistes qui peuvent nous menacer

Pour imaginer sa fin, l'humanité est sans limite: de l'invasion extraterrestre aux désastres nanotechnologiques, tout a été envisagé. Sept dangers semblent plausibles. Mais pas fatals.

1) Un astéroïde a 1 chance sur 45 000 de nous frapper en 2036 Avril 2029.

Apophis se dirige vers la Terre et nous frôle à moins de 29 470 km. En 2036, nouveau passage avec 1 chance sur 45 000 de nous percuter. Faut-il vraiment s'inquiéter? Les astrophysiciens surveillent avec attention les "Potentially Hazardous Asteroids" (PHA), des géocroiseurs orbitant à moins de 7,48 millions de kilomètres de la Terre. "Ils seraient 1 000 autour de nous", affirme Jean-Yves Prado, chercheur au Centre national d'études spatiales. "Mais tous ne sont pas dangereux". Car pour menacer l'humanité, leur diamètre doit atteindre 1 km. Apophis. lui, plafonne à 300 m. "Pas assez pour détruire la vie", tranche le spécialiste. "Mais il pourrait faire des dégâts à l'échelle de quelques départements français." Hélas, seuls 85 % des PHA sont connus et les scientifiques n'ont aucune idée de la taille des autres. Néanmoins, en cas de menace réelle, ils envisagent de faire exploser une bombe à proximité de l'astéroïde afin que le souffle de la déflagration dévie le caillou.

2) Si la température grimpe de 6,5°C en un siècle, le tiers de l'humanité souffrira du manque d'eau

Surchauffe pour la planète: d'après un scénario alarmiste du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), la température pourrait grimper de 6,4°C d'ici à 2100. S'il se réalise, le pH des océans diminuera, empêchant la formation des exosquelettes des coraux, crabes ou huîtres, essentiels aux populations côtières. Plus de 3 milliards de personnes souffriront du manque d'eau et le niveau des mers pourrait s'élever de 190 cm. La fin annoncée de l'homme ? "Homo sapiens est adapté à des climats très divers et a su coloniser toute la planète", tempère Gildas Merceron, du Muséum national d'histoire naturelle. "De nombreuses populations devront migrer, mais elles résisteront. En revanche, certaines plantes deviendront difficiles à cultiver". Par exemple, vers 2080, la productivité du blé aura diminué de 30 % dans l'hémisphère Sud.

3) Avec la fécondité du Japon, la Terre se dépeuplerait en 400 ans

Avec 1.2 enfant par femme, le Japon vieillit. L'Europe ne s'en sort guère mieux malgré l'exception française. "Sur les 200 pays de l'Onu, plus de la moitié se situent déjà sous le seuil de renouvellement des générations", ajouteChristian Godin, philosophe et auteur de "Ici Fin de l'humanité". "Cette décrue sera irréversible, l'humanité ne se place plus dans la perspective d'une durée de vie infinie, elle vit au présent". Or les Nations unies estiment que 2050 marquera un pic avec 9 milliards d'habitants, avant que la population se stabilise, voire régresse...

Avec un taux de fécondité de 1,4 enfant par femme, une population de 100 individus n'en compte plus que 70 à la génération suivante. A ce rythme-là, l'espèce humaine pourrait s'éteindre en 2400 comme l'Institut national des études démographiques l'a déjà calculé en 1988.

4) Une guerre nucléaire créerait une famine considérable

Avec 22 400 armes nucléaires braquées sur la Terre en 2010, que se passerait-il en cas de guerre? Un rapport australo-japonais dresse un scénario glaçant: si les armes russes et américaines étaient déployées, outre les dégâts humains immédiats, 150 millions de tonnes de fumées seraient rejetées dans l'atmosphère.

Conséquence: l'hiver nucléaire. 70% des rayons du soleil seraient bloqués au nord, et 35% au sud: les températures chuteraient de 7 à 8 °C: les pluies seraient réduites de plus de 90%, et les conditions de culture conduiraient les populations à l'hécatombe alimentaire.

Certes, cette étude envisage le pire scénario. Pourtant, en géopolitique, nul ne peut prédire l'évolution des équilibres. Aujourd'hui, 9 pays détiennent l'arme atomique, dont l'Inde et le Pakistan qui se disputent le Cachemire...


Or, une autre enquête pointe les conséquences d'un conflit entre ces deux Etats. Avec 0,3% de l'arsenal nucléaire mondial utilisé, 1 milliard de personnes connaîtrait la famine. Une explosion accidentelle de l'un des 441 réacteurs civils serait-elle aussi néfaste ? "Quelques centrales de type Tchernobyl subsistent en Russie" reconnaît Jean-Luc Lachaume, directeur général adjoint de l'Autorité de sûreté nucléaire. "Les conséquences d'un accident comme celui de 1986 seraient humainement et écologiquement très graves, mais resteraient localisées autour des réacteurs".



5) Le Yellowstone pourrait rayer les Etats-Unis de la carte

Il y a 65 millions d'années, des éruptions ont formée les trapps du Deccan, en Inde, un immense empilement de lave basaltique, grand comme la France, d'une épaisseur de 2 400 m. "Cette activité a causé en partie la fin des dinosaures" explique Christian de Muizon, chercheur au Muséum national d'histoire naturelle. "Pour détruire l'humanité, il faudrait au moins une activité aussi importante". Or aucun contexte géologique semblable n'est envisagé actuellement. Toutefois, quelques super-volcans sommeillent : il y a 640 000 ans, la caldeira de Yellowstone, aux Etats-Unis, a rejeté un millier de kilomètres cubes de matières volcaniques qui ont recouvert tout le sud-ouest du pays. A court terme, il ne présente pas de danger, mais il pourrait se réveiller un jour.


6) Un virus mutant de la grippe pourrait faire des ravages

Transports modernes oblige, un virus voyage très vite. Les médecins surveillent de près ceux qui se transmettent par l'air, de type grippe ou Sras. De plus, les virus comme celui de la grippe peuvent se recombiner entre des versions animales et humaines pour générer une forme très pathogène. Autre menace, les maladies transmises par les moustiques: les cas de dengue, par exemple, doublent désormais tous les cinq ans. Sans compter que l'arsenal de lutte contre ces agents faiblit, mis à mal par les résistances développées par des virus pathogènes en mutation. "Le danger épidémique existe, sans être dramatique à grande échelle", conclut Marc Gastellu-Etchegorry, directeur du département tropical de l'institut de veille sanitaire. Le danger pourrait aussi venir d'une attaque bactériologique. Or, les armes utilisées par les terroristes sont difficiles à détecter et moins surveillées que le nucléaire. D'après l'OMS, 50 kg d'anthrax - une bactérie infectant le système respiratoire - répandus sur 2km², tueraient 100 000 personnes. Par ailleurs, si 169 pays ont signé la convention pour la non-prolifération de ce type d'arsenal, en 2005, 7 pays étaient soupçonnés d'en développer.

Virus de la grippe aviaire - Microscope


7) Des êtres mi-hommes mi-machines vont peut-être nous succéder

Clones, cyborgs. robots androïdes, le futur verra sans doute apparaître des êtres hybrides plus accomplis que nous. Une nouvelle "espèce humaine" en somme. "Notre environnement est déjà peuplé d'objets intelligents, autonomes et qui communiquent entre eux", constate le philosophe Jean-Michel Besnier, auteur de "Demain les posthumains". Ces créatures pourraient-elles nous menacer ? Pas pour l'instant, car elles n'ont pas de conscience. Mais demain ? Les spécialistes de l'intelligence artificielle réfléchissent à la cohabitation entre humains et post-humains. La Corée a même planché sur une charte éthique des robots, leur imposant de ne pas nuire aux humains. "Il faudra ouvrir un dialogue d'un nouveau type", conclut Jean-Michel Besnier, "et surtout élargir le champ de l'humanisme à ces individus".


L'homme est taillé pour résister

Les extinctions rythment le cycle de la vie sur Terre, la 5e ayant éliminé près de 50% des espèces, dont les dinosaures, il y a 65,5 millions d'années. Une 6e extinction est-elle en marche? Robert Barbault, directeur du département d'écologie et de gestion de la biodiversité au Muséum national d'histoire naturelle estime que "le rythme des extinctions est actuellement 100 à 1000 fois plus rapide que naturellement. Les raisons ? L'homme accélère tout. Sa démographie a été multipliée par 2 ou 3 en un demi-siècle, et sa consommation de ressources par 7. La biodiversité est le tissu de la planète et l'homme en fait partie, au même titre qu'une autre espèce. S'il augmente la pression sur la biosphère, les autres espèces ont moins d'espace pour se développer".
   
Pourquoi l'homme résiste-il si bien à cette extinction planétaire? Robert Barbault avance deux éléments essentiels: "D'abord, son effectif. Quand on considère l'abondance d'une espèce, un million d'individus est déjà un nombre énorme. Alors presque 7 milliards d'humains... On estime en effet que la probabilité d'extinction devient très forte en dessous de 50 individus! Cela donne à l'homme une force démographique incomparable pour résister aux extinctions. Sa couverture géographique est aussi une clé: la majorité des extinctions touche des espèces confinées à de petites niches écologiques, telles les îles,ce qui a été le cas avec le dodo (un grand oiseau disparu à la fin du XVIIe siècle, à Maurice). Or l'homme, lui, a su coloniser tous les  continents et s'adapter à presque tous les climats, ce qui lui permet d'affronter les changements de son environnement. Cette réussite écologique se fait au détriment de nos concurrents directs pour l'accès à la nourriture: ce sont les grands carnivores, comme les loups européens avec lesquels nous luttons pour protéger nos moutons, les lions, en Afrique, les tigres, en Asie."


Après l'Homme, la nature reprendra très vite ses droits

En ville, dans les rues et les bâtiments, la lutte contre la nature est un travail de tous les instants. Une fois l'homme disparu, ses efforts et ses constructions seront bien vite anéantis.
 
- En 50 à 500 ans, les maisons s'écrouleront


Une tuile qui s'envole, une tôle percée par la rouille et l'eau pénètre vite à l'intérieur des constructions... Les maisons en bois et torchis, courantes en Normandie, seront les premières à tomber. L'humidité aidant, les bactéries auront raison de leur charpente de bois et de la paille de leurs murs en quelques dizaines d'années à peine. La pierre et la brique tiendront plusieurs siècles. "Quant au béton, il résiste: voyez l'état des blockhaus de la Seconde Guerre mondiale, pourtant soumis à l'action corrosive des embruns...", souligne Pascal Depaepe directeur scientifique de l'Institut national de recherches en archéologie préventive. Pourtant, les graines transportées dans l'air profiteront de la moindre anfractuosité pour germer, pourvu qu'un peu d'humus s'y soit accumulé. Et en grandissant, les racines feront sauter les murs.

- En 100 ans, l'eau inondera les villes

A Paris, par exemple, les 2 400 km de trottoirs sont balayés tous les jours et les 1500 km de rues lavés une fois par semaine. L'homme disparu, ces voies de circulation se couvriront de feuilles mortes et de détritus. De quoi boucher, en quelques mois, les regards des égouts. Conséquence, selon Daniel Poulain, à l'Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement: "Dans certaines rues, les eaux de ruissellement formeront des rivières". La France compte 792 barrages de plus de 10 m de haut, qui céderont assez vite une fois que les brèches ne seront plus colmatées et que les arbres germant sur les remblais favoriseront les infiltrations. De plus, certains barrages exigent une intervention humaine pour vidanger leur "trop-plein". Les barrages-voûtes en béton sont a priori les plus résistants, mais les barrages dits "poids", en terre ou en enrochements, risquent de se renverser à la première crue importante, en moins d'un siècle.





- En quelques années, les animaux redeviendront sauvages

"Le cheptel domestique mourra de faim, de maladie, ou dévoré par un prédateur", suppose Michel Pascal, spécialiste des espèces envahissantes à l'Institut national de recherche agronomique. Mais en une génération, les animaux les plus débrouillards évolueront vers une forme dite "maronne". Un phénomène qui s'observe déjà. "Au Vanuatu,j'ai même vu une vache semi-sauvage dans la forêt tropicale, à plus de 1000 m d'altitude!", souligne le spécialiste. Les herbivores devront cependant composer avec les prédateurs: loups, lynx et ours, dont les populations ne seront plus jugulées. Le meilleur ami de l'homme, lui, pourrait redevenir sauvage, comme cela s'est déjà produit en Australie avec le dingo, issu de chiens domestiques. Quant au chat, c'est le champion de l'adaptation. "En témoigne le cas des îles Kerguelen, au sud de l'océan Indien: un seul couple de chats y a été introduit en 1954. En 1977. ils étaient plus de 10 000!". Des espèces domestiques ou génétiquement modifiées pourraient aussi tirer leur épingle du jeu. Par exemple, le saumon d'élevage canadien, auquel on a incorporé une molécule "antigel", pourrait être avantagé par rapport à ses congénères sauvages. Quant aux végétaux utilisés dans l'agriculture, ils vont évoluer vers des formes rustiques. "Au fil des générations, les fruits des pommiers retrouveront leur taille initiale - plus petite et avec moins de goût", poursuit Michel Pascal. Finies aussi certaines variétés de fleurs créées par l'homme, comme de nombreuses espèces de roses.

- En quelques jours, les réacteurs nucléaires exploseront

Le centre de la Hague stocke du combustible usé, très radioactif, dans des piscines pendant plusieurs années. Sans l'homme, l'alimentation électrique et les systèmes de secours du circuit de refroidissement vont très vite s'arrêter. En quelques heures, l'eau va bouillir et des explosions libérer d'énormes quantités de radioactivité. "Sans maintenance. des accidents toucheront aussi les 441 réacteurs en service dans le monde", ajoute Roland Desbordes, président de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité. Avec des conséquences imprévisibles pour la nature. "Ainsi, à Tchernobyl, des ornithologues ont constaté des mutations chez les hirondelles qui les rendaient albinos et stériles jusqu'à les faire disparaître de la région". Il est probable que la Terre finisse par oublier ce traumatisme, même si certains éléments comme le plutonium 238 mettent des millions, voire des milliards d'années à perdre leur radioactivité.

La centrale nucléaire de Jaitapur, Inde

- En 300 ans, l’excès de CO2 sera absorbé

Le climat, malmené par l'homme avec les émissions de gaz à effet de serre, reviendra-il "à la normale ?". "Le CO2, en excès diminue grâce à deux processus principaux: il est assimilé par la végétation et absorbé par l'océan", explique Philippe Ciais, directeur du Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement. "En trois siècles, l'excédent de ce gaz dû aux activités humaines diminuera de 80%, Mais pour effacer tout le surplus de CO2, il faudra encore attendre 100 000 ans. Et si des points de non-retour ont été franchis, comme la fonte des calottes polaires, les changements climatiques pourraient être irréversibles."


- Le plastique résistera des dizaines de milliers d'années

Parmi les polluants qui nous survivront longtemps figurent les plastiques dont nous produisons 230 millions de tonnes par an. L'un des plus résistants ? "Le Teflon de nos poêles antiadhésives, qui pourrait durer 1000 ans", selon Jacques Verdu, spécialiste des polymères à l'Ecole nationale d'arts et métiers. Certains plastiques seront dégradés par l'eau, d'autres par les UV: "Prenons un tas de pneus: il ne faudra qu'un siècle à ceux du dessus pour se transformer en poussière, mais ce sera beaucoup plus long pour les autres, protégés de la lumière. Les débris ultimes, très stables, subsisteront dans l'environnement pendant des dizaines de milliers d'années".

La Tour Eiffel - Paris, France
- En 300 ans, la Tour Eiffel perdra la tête !

La corrosion aura vite raison de nos disques durs. "De même, sans climatisation, des œuvres comme La Joconde ne survivront pas plus de quelques décennies à l'humidité et aux attaques bactériennes", souligne Pascal Depaepe. "La céramique ou la porcelaine sont plus robustes. On a même retrouvé des fragments de terre cuite datant de 25 000 ans".

Nos monuments connaîtront eux aussi un funeste destin. "Depuis sa construction, la tour Eiffel est repeinte tous les sept ans, afin d'empêcher les infiltrations d'eau entre les plaques de métal", explique Yves Camaret, directeur technique. "Si l'on cesse de l'entretenir, la rouille va les faire gonfler, les rivets sauteront et les poutres chuteront". Il ne faudrait ainsi que deux ou trois siècles à la Dame de fer pour perdre la tête...



"Sapiens craint son propre pouvoir"


Dominique Lecourt, philosophe, directeur de l'Institut Diderot, souligne: "L'homme a toujours craint pour sa survie, à titre individuel. Mais aujourd'hui, c'est l'humanité dans son ensemble qui nous semble menacée.

Cette peur trouve ses origines dans des faits récents, telle l'utilisation de l'arme nucléaire à Hiroshima, en 1945, qui suggèrent que l'homme a les moyens de s'autodétruire. Trente ans plus tard, la naissance de la génétique a suscité la peur du clonage humain, vu également comme la fin de l'humanité. Dans toutes ces défiances s'exprime la crainte de l'invisible. Les grandes peurs du passé étaient liées à des facteurs externes - catastrophes naturelles, épidémies... Leur cause était attribuée à la colère divine, avec une possibilité de rédemption, de résurrection.


Peinture de Wojtek Siudmak
Aujourd'hui, l'homme craint son propre pouvoir. C'est une destruction définitive qui est évoquée. L'espérance est dénoncée comme illusoire et naïve. L'humanité vit dans le culte du principe de précaution: il faut des certitudes avant d'entreprendre, donc on ne se risque à rien...


Comment expliquer le succès des films et des romans apocalyptiques ? A notre époque, le rôle de victime est valorisé. Il se peut donc que l'on assiste à l'affirmation d'une certaine fraternité dans la victimisation, plutôt que dans la construction d'un destin commun... Mais ces visions d'apocalypse permettent aussi de relativiser nos peurs".


Source: "Ca m'interesse" du mois de Novembre 2010 - Dossier réalisé par Caroline Péneau, Marie Lescroart et Alice Bomboy.

lundi 2 décembre 2013

Penser la décroissance devient nécessaire

Un monde fini

Il semble que nous n’ayons toujours pas pris la mesure de ce changement de paradigme qui a fait passer l'habitat humain d’un monde vaste et inexploré, peuplé de « terrae incognitae » exploitables à l’infini, à un monde fini, totalement accessible, caractérisé par des ressources limitées et des capacités de renouvellement réduites.

Ce changement d’échelle doit entraîner avec lui un renouvellement de nos représentations : d’une période d’abondance où tout semblait illimité, nous sommes passés à une période de rareté marquée fondamentalement par la finitude. L’enjeu majeur, aujourd’hui, consiste à faire en sorte que cette rareté ne se transforme pas en pénurie, entraînant avec elle son lot de barbarie et de risques pour la démocratie.
 

La décroissance : un projet de société

La décroissance est un projet de société ou encore un projet politique si l’on donne à ce terme un sens large conforme à son étymologie grecque d’organisation de la vie de la cité (Polis). Il s’agit d’un projet humaniste visant à renouveler le rapport que nous entretenons avec la nature comme avec autrui. En effet, prenant acte des limitations matérielles de notre terre mais aussi d’une forme d’anti-humanisme inquiétante produite par l’organisation néolibérale de nos sociétés, la décroissance préconise une révolution culturelle et sociétale qui consisterait en la sortie hors du système productiviste et « économiciste » dans lequel nous vivons. Cette révolution nécessite bien sûr un renouvellement complet de notre conception du progrès qui est fondée aujourd’hui quasi exclusivement sur l’objectif d’accumulation quantitative.

Les formules « plus de liens moins de biens », « abondance frugale », « sobriété heureuse » ou « décroissance conviviale » illustrent à ce titre la demande de la sphère décroissante en faveur d’une économie solidaire attentive au bien-être et à la qualité de vie des individus, loin des exigences de productivité, de rentabilité maximale et d’accumulation du profit (pour le compte de quelques uns comme le montre la crise que nous traversons), qui constitue la logique motrice du système économique dominant.

On notera à ce sujet que l’idéal d’une croissance indéfinie n’est jamais interrogé en tant que telle par les acteurs du système. Contrairement aux penseurs d’alternatives qui doivent constamment affronter l’objection du caractère irréalisable de leur projet, en revanche, ceux qui prônent une croissance exponentielle dans un monde matériellement fini n’ont jamais à justifier la dimension pour le coup véritablement irréaliste de leur programme.

La question du sens (« croître pour croître ? ») est, elle aussi, systématiquement évacuée des débats au nom de la sacro-sainte « (dé)raison économique » et de la Realpolitik qui l’accompagne.
C’est donc rien de moins qu’un tournant social, économique et anthropologique que la décroissance veut faire prendre à la modernité. « Transformation des institutions existantes » mais aussi changement de mentalité.

La décroissance n’est pas la croissance négative

Si le concept de décroissance, relativement récent, reste à maints égards encore en chantier, une chose est certaine : la décroissance n’est pas, comme ses détracteurs aiment à le dire, le pan négatif de la croissance. Elle repose sur une toute autre représentation du monde, sur des fondements opposés à ceux de l’idéologie capitaliste à laquelle, seuls, appartiennent les maux que l’on connaît aujourd’hui (récession, chômage, déclassement social…).

Une consommation écologique n’implique pas une réduction du niveau de vie mais bien plutôt une conception différente du niveau de vie, où la possibilité de se balader dans la nature, de traîner et de bavarder au coin d’une rue, de jouir du silence ou d’un beau paysage, de voyager lentement, d’avoir du temps pour jouer, pour parler avec ses voisins ou tout simplement pour ne rien faire, serait privilégiée au détriment des satisfactions matérielles privées et de tous ces objets de consommation gaspilleurs de ressources qui nous éloignent de l’essentiel et qui au final n’alimentent qu’une seule chose : nos poubelles !

C’est dès lors à dessein que le mouvement de la décroissance s’incarne dans la figure emblématique de l’escargot et qu’il affiche sa proximité avec tous les mouvements nous invitant à décélérer.

La décroissance, à ce titre, vise à promouvoir l’autonomie du sujet et le bien-vivre dans une société marquée par l’hétéronomie  et l’absence de projets collectifs.
L’exigence éthique d’émancipation du sujet

Si la croissance, en tant que système économique, social et politique, interroge fondamentalement la philosophie, c’est parce qu’elle est fondée sur une conception particulière de l’homme qui le réduit à une « machine désirante », cupide et intéressée, à un sujet « sans gravité » asservi aux besoins créés pour lui par la société marchande.

L’anthropologie capitaliste postmoderne produit en effet des individus incapables de se fixer des limites, de transmettre ou d’établir des repères pour les générations futures ; elle donne naissance à une « société troupeau », qui s’épanouit dans la satisfaction pulsionnelle immédiate et l’incitation à la jouissance. Enfermé dans la cage de fer d’une jouissance toute personnelle, l’individu auto-référé ne se conçoit plus spontanément en relation avec un tiers ou, le cas échéant, uniquement sous le mode de la contrainte légale ou sociétale.

Or, l’être humain ne peut en réalité s’abstraire, sans s’aliéner et s’annihiler en tant que sujet, des liens qui l’unissent aux autres et qui permettent de faire humanité et société.

Il ne peut de même s’abstraire des liens qui l’unissent à son environnement naturel, sans cette fois remettre en question la possibilité même de sa survie dans des conditions acceptables et humaines. À ce double titre, c’est bien l’humanité qui est en question tant au sens générique (les humains) qu’au sens philosophique (l’humanisme) dans la nécessité d’en finir avec le système capitaliste de la croissance.

La société de la frustration

Dans la perspective consumériste liée à la croissance, l’individu doit constamment ressentir le manque de l’objet produit, c’est-à-dire être en état constant de déséquilibre psychique. En devenant social (et non plus simplement biologique), le besoin perd sa limitation quantitative et temporelle ; il devient infini et indéfini, sans limite car sans objet propre, et peut ainsi satisfaire l’idéal consumériste d’une croissance continue.

Ainsi la société de consommation n’entraîne-t-elle pas, paradoxalement, un sentiment d’abondance et de satiété pour tous mais au contraire l’accentuation du sentiment de privation et de pauvreté relative pour la majeure partie (l’autre a ce que je n’ai pas).

Une utopie concrète

La décroissance de la sphère de l’économie, a comme objectif de fonder une société de décroissance où l’on vivrait « mieux avec moins ».

Cette « utopie concrète » comme se plaisent à la dénommer ses promoteurs, rencontre de nombreux problèmes de réalisation dont le premier est celui de sa mise en œuvre dans des démocraties libérales asservies au dogme de la croissance, aux intérêts du marché comme aux exigences consuméristes des électeurs. Comme il est nécessaire de le rappeler, les changements de conscience sont longs et lents à produire alors que le temps des catastrophes écologiques requiert des actions imminentes. Comment résoudre cette contradiction ?

Nul n’étant prophète en son pays et en son temps, comment dès lors conjuguer le temps long de la germination des esprits, l’asservissement au court terme de nos démocraties représentative et l’urgence de la crise écologique qui paradoxalement peine à se faire sentir ?

C’est tout naturellement la crise du capitalisme lui-même qui entraînera sa chute et avec elle, celles de tous les composantes systémiques qui l’accompagnent. C’est cela qui ouvrira la voie à l’après capitalisme en imposant cette évidence : le seul moyen de vivre mieux, c’est de produire moins, de consommer moins, de travailler moins, de vivre autrement…

La démocratie écologique

La décroissance n’invoque pas la mise en place d’une « dictature verte ». À rebours de l’hégémonie technocratique qui envahit nos institutions pseudo-démocratiques, les partisans de la décroissance ne veulent pas d’un renoncement collectif à la croissance hors du cadre démocratique considéré comme une valeur en soi.

La transformation radicale des institutions de la société » nécessite tout d’abord que le citoyen soit à nouveau associé aux décisions de la Cité, en accord avec un principe selon lequel les gens ordinaires sont bien plus empreints de « décence », de mesure et de prudence, que ceux qui nous gouvernent. Ce n’est donc pas sans fondement que la majorité des théoriciens de la décroissance invitent à réfléchir sur la limitation politique intrinsèque des institutions représentatives et militent parfois en faveur d’une démocratie directe.

Cette demande de revivification de la démocratie s’accompagne d’une exigence de « localisme » et de décentralisation, nécessaires à la fois en terme de production qu’en terme de décision politique. La question du rôle des Etats et des instances supra-nationales demeure, quant à elle, un sujet de division parmi les partisans de la décroissance. Pour ma part, j’inclinerais à penser que les deux niveaux (supranationaux et régionaux) seront nécessaires à la mise en œuvre d’une décroissance concertée, équitable et démocratique.

La question des institutions politiques nécessite d’être traitée avec une grande lucidité. Aussi faut-il récuser l’idée paresseuse selon laquelle démocratie et décroissance iraient forcément de pair et mettre en garde contre la possibilité de dérive que contiendrait une décroissance « subie » qui pourrait entraîner avec elle la chute des régimes démocratiques et leur dérive vers des régimes technocratiques ou écofascistes.

Pour éviter une telle dérive, il apparaît urgent de reconstruire politiquement la société, de redonner aux populations un projet collectif et une vision d’avenir réaliste qui se substituerait à l’unique rêve consumériste et productiviste de nos sociétés néo-libérales. 

Cela n’ira pas sans une mue démocratique donnant aux individus la possibilité d’exercer leur jugement à travers des processus de réflexion et de délibération élargis à la totalité des citoyens. Et cela ne sera pas possible, comme le montre la place prépondérante accordée à l’éducation, sans une véritable information et formation critiques accordées aux citoyens, ce qui justifie, une nouvelle fois, le rôle primordial de la philosophie dans la Cité.

Extrait de l'édito de Anne Frémaux: Pour une philosophie de la décroissance (Eco, 30/09/2013)

dimanche 17 novembre 2013

Internet et le piratage

Sur les 2 milliards d’internautes que compte la planète, un quart d’entre eux seraient des pirates. Plus précisément, 432 millions d’internautes utiliseraient leur accès internet pour accéder à des contenus protégés par le droit d’auteur, sous copyright. (Etude NetNames, pour le compte de NBC Universal - janvier 2013).

La bande passante consommée pour ce « trafic » serait équivalente à 9,567 petabytes par mois en 2012, principalement via Bittorrent, et constituerait le quart de l’ensemble du trafic internet.

Sur ce média particulier qu’est Internet, la frontière entre piratage et partage est nécessairement floue. D’une part, le partage effectif qui met nécessairement en œuvre l’essentiel des actions dites de « piratage », désamorce symboliquement, pratiquement et sociologiquement l’idée d’un profit exclusivement personnel au détriment d’une collectivité ou des intérêts de la majorité.

D’autre part, le partage nécessite de plus en plus fréquemment de convoquer une dimension et des actions de piratage pour suspendre, contourner ou détruire les « mesures techniques de protection » rendant de fait impossibles ou extrêmement compliquées l’essentiel des actions pourtant légitimes de partage sur un bien culturel dûment acquitté.

La matrice - Film Matrix (réalisé par Andy et Lana Wachowski, 1999)

Les deux seuls remèdes efficaces sont pourtant déjà connus

Constitution de portails d’une offre légale suffisamment fournie et tarifairement accessible pour être attractive, ce qui impose une révision façon « table rase » de l’antique « chronologie des médias » ; et surtout, surtout, la légalisation des échanges (du partage) non-marchands, accompagnée d’une réflexion autour des biens communs informationnels.

Si le phénomène du « piratage » ne peut être nié, que dire de l’étendue, de l’échelle et de l’impact des actions menées par les différents « corsaires » à la solde des industries culturelles ? Une infographie récente laissait voir l’étendue du problème d’un autre piratage, celui-là authentique, celui de nos données personnelles ou de données économiquement sensibles.

Au-delà des actes de piraterie réels (intrusions informatiques) ou des négligences qui sont à l’origine de certaines fuites (« leaks »), il est troublant de constater à quel point les acteurs présentés comme disposant des cartes permettant de régler le problème du piratage pour le compte des industries culturelles (c’est-à-dire les moteurs de recherche), entretiennent avec nos données les mêmes pratiques de captation, de détournement et de partage que celles auxquelles ils sont enjoints de mettre fin dans le domaine des industries culturelles : l’appropriation et le partage avec des services tiers de nos données « personnelles » est, de leur aveu propre, le seul moyen de présenter aux usagers des services en cohérence avec leurs attentes.

L’essentiel des actes de « piraterie » dénoncés à grands cris par NBC ou la MPAA ne poursuivent pas d’autre but que celui-ci : faute d’une légalisation du partage non-marchand et d’une offre légale à la fois conséquente et adaptée à la chronologie des usages de consommation sur le Web, c’est le seul moyen à portée des internautes pour disposer de services enfin en cohérence... avec leurs attentes....

World's Biggest Data Breaches (losses greater than 30,000 records) - Source Information is Beautiful


Cet extrait d'article est tiré du blog Affordance, d’Olivier Ertzscheid, maître de conférences en sciences de l’information. L’article est consultable en intégralité sur le blog.

lundi 4 novembre 2013

La sculpture du vivant - Jean-Claude Ameisen (1951-)


La sculpture du vivant, Editions du Seuil
Nous sommes chacun une nébuleuse vivante, un peuple hétérogène de milliards de cellules, dont les interactions engendrent notre corps et notre esprit. 
 
Aujourd'hui, nous savons que toutes ces cellules ont le pouvoir de s'autodétruire en quelques heures. Et leur survie dépend, jour après jour, de leur capacité à percevoir les signaux qui empêchent leur suicide. Cette fragilité même, et l'interdépendance qu'elle fait naître, est source d'une formidable puissance, permettant à notre corps de se reconstruire en permanence. 
 
A l'image ancienne de la mort comme une faucheuse brutale se surimpose une image radicalement nouvelle, celle d'un sculpteur au cœur du vivant, faisant émerger sa forme et sa complexité.

Cette nouvelle vision bouleverse l'idée que nous nous faisons de la vie. Elle permet une ré interprétation des causes de la plupart de nos maladies et fait naître de nouveaux espoirs pour leur traitements. Elle transforme notre compréhension du vieillissement.

C'est un voyage que propose Jean-Claude Ameisen. Un voyage à l'intérieur de nous-mêmes, de nos cellules et de nos gènes. Une plongée vers le moment où commence notre existence, à la rencontre du suicide cellulaire à l’œuvre dans la sculpture de notre corps en devenir; mais aussi une plongée vers un passé plus lointain, au travers de centaines de millions d’années, à la recherche des origines du pouvoir étrange et paradoxal de s’autodétruire qui caractérise la vie. Un voyage à la découverte de l’une des plus belles aventures de la biologie de notre temps. Comme toute exploration d’un pan inconnu de notre univers, ce livre nous révèle des paysages d’une grande beauté. Il nous permet aussi de ressentir combien la science peut parfois entrer en résonance avec nos interrogations les plus intimes et les plus anciennes.

Site internet de Jean-Claude Ameisen



 Jean-Claude Ameisen - Le vivant, l'Homme et la mort

samedi 12 octobre 2013

Georges Rousse (1947-)

Georges Rousse, photographe plasticien, est né en 1947 à Paris où il vit et travaille.

Habiter le monde avec son appareil photographique

Depuis le Noël de ses 9 ans où il reçut en cadeau le mythique Brownie Flash de Kodak, l'appareil photo n'a plus quitté Georges Rousse. Alors qu'il est étudiant en médecine à Nice, il décide d'apprendre chez un professionnel les techniques de prise de vue et de tirage puis de créer son propre studio de photographie d'architecture. Mais bientôt sa passion le pousse à se consacrer entièrement à une pratique artistique de ce médium sur la trace des grands maîtres américains, Steichen, Stieglitz ou Ansel Adams. 

C'est avec la découverte du Land Art et du Carré noir sur fond blanc de Malevitch que Georges Rousse choisit d'intervenir dans le champ photographique établissant une relation inédite de la peinture à l'Espace. Il investit alors des lieux abandonnés qu'il affectionne depuis toujours pour les transformer en espace pictural et y construire une œuvre éphémère, unique, que seule la photographie restitue. 


Pour permettre aux spectateurs de partager son expérience de l'Espace il présente, dès le début des années 80, ses images en tirages de grand format. Cette œuvre forte et singulière qui déplace les frontières entre les médias traditionnels s'est immédiatement imposée dans le paysage de l'art contemporain. Depuis sa première exposition à Paris, à la galerie de France en 1981, Georges Rousse n'a cessé d'exposer et d'intervenir dans le monde entier, en Europe, en Asie (Japon, Corée, Chine, Népal.), aux Etats-Unis, au Québec, en Amérique latine..., poursuivant son chemin artistique au-delà des modes.

Il a participé à de nombreuses biennales - Biennale de Paris, Biennale de Venise, Biennale de Sidney. - et reçu des prix prestigieux :

1983 : Villa Médicis "hors les murs" à New York
1985 -1987 : Villa Médicis, Rome
1988 : Prix ICP (International Center of Photography), New York
1989 : Prix de Dessin du Salon de Montrouge
1992 : Bourse Romain Rolland à Calcutta
1993 : Grand Prix National de la Photographie
2008 : Georges Rousse succède à Sol Lewitt comme Membre associé de l'Académie Royale de Belgique

Il est représenté par plusieurs galeries européennes et ses œuvres font partie de collections majeures. 


Une brève présentation du travail de Georges Rousse

Georges Rousse est un photographe plasticien. Ses images viennent clore un processus qui relève à la fois de la peinture, de l'architecture et du graphisme. Il joue sur la différence entre le fond, essentiellement le lieu où il s'est installé, et l'image, flottant à la surface du lieu de l'installation. Son travail invite à méditer sur la réalité et l'illusion.

Le travail s'effectue en deux temps.

1er temps : montage d'une forme simple

Les lieux privilégiés des interventions de Georges Rousse sont les bâtiments désaffectés. Il visite d'abord le bâtiment, prend des notes, qui peuvent donner lieu à un montage préparatoire, éventuellement au moyen de l'ordinateur.
Une fois le projet fixé, la réalisation du volume est accomplie avec le concours d'assistants, souvent recrutés pour l'occasion. 
La réalisation proprement dite commence par une mise au noir du lieu. Toutes les entrées de lumière sont obturées et une projection diapositive est faite : elle permet l'inscription de la forme plate dans l'espace qu'elle doit envahir. Dans l'exemple illustré ci-dessous le cercle plat se projette sur les sols, les murs et plafond. Les assistants armés de crayons ou de craie prennent les repères des bords de forme.
Après repérage, tous les éléments pris à l'intérieur des repères seront peints en vert.
D'autres éléments découpés (comme ces croissants de bois, ou comme cette cloison qui suit le bord droit du cercle) peuvent être ajoutés avant ou après la projection de sorte de venir compliquer un peu plus l'illusion visée. 


La réalisation de l'illusion est un gros travail, qui peut intégrer un aspect très décoratif, comme on le voit sur la façon de peindre le mur de droit à l'avant-plan de l'image. Georges Rousse est passé par la Villa Medicis et le goût italien ne lui est pas étranger !

2ème temps : reproduction photographique

Lorsque la préparation de l'installation est achevée, une chambre photographique vient remplacer, exactement au même endroit, le projecteur de diapositive. L'illusion sera ainsi parfaite, et la qualité de la photographie, destinée à des agrandissements importants, sera optimale.

Interrogé sur sa façon de procéder Georges Rousse souligne l'importance du moment de la prise de vue :
"En règle générale, je m'applique seulement à trouver la meilleure relation entre toutes les données contextuelles, la singularité du site, le budget, le temps, les moyens techniques, etc. Mon unique projet est de transformer le lieu, de tout mettre en œuvre pour cet instant de la prise de vue qui est un moment extrême dans la relation intime de l'espace à la peinture, à la photographie et à moi-même." Lorsque la photographie est faite, enfin, le décor qui a servi à sa fabrication peut être détruit.



Intérêt du travail

Georges Rousse témoigne du même goût pour l'espace dont témoignait les artistes de La Renaissance. La soif de l'espace, qui est soif de connaissance, aime son contraire, le doute fondamental de l'illusion.

Si Georges Rousse est à la fois concepteur, installateur, peintre et à ce titre plasticien, il n'en demeure pas moins que l'essentiel de son travail joue sur le point de vue et le passage de la réalité en trois dimensions à l'illusion en deux dimensions. En mettant le relief au service du monde plat, il inverse la relation de sujétion entre la photographie et le monde (ce n'est pas la photographie qui représente le monde, c'est le monde qui concourt à la photographie), introduisant au-delà de la simple illusion d'optique une tricherie vertigineuse dont l'analyse fait le bonheur du regard qui interroge la représentation proposée.

"N'est-ce pas le projet de l'artiste que de montrer le réel de façon imprévue ?" interroge Georges Rousse. Il a probablement raison même si, dans son cas, on est déjà beaucoup plus loin. Quel est donc ce réel, enrôlé dans un mécanisme de trahison de la perception, qui nous convie à douter de nos sens ?


Source: Henri Peyre sur le site : http://www.galerie-photo.com
Site internet de Georges Rousse: http://www.georgesrousse.com/

mardi 17 septembre 2013

Le petit manuel du Bouddha - Jack Kornfield (1945-)

Le petit manuel de Bouddha, Table Ronde (1999)
Semblables à la beauté sereine du lotus qui éclot sur la vase, les préceptes simples du Bouddha ont aidé les hommes à trouver la paix et l'unité intérieure depuis plus de deux mille cinq cents ans.
Jack Kornfield a adapté dans ce manuel un enseignement ancien de la vie contemporaine.

Quelques Extraits: 

L’amour au passé n’est que souvenir. L’amour au futur n’est qu’imagination. C’est seulement ici et maintenant que nous pouvons aimer.

Tout pas que l’on fait consciemment, tout acte accompli avec vigilance mène droit à l’éveil. Où que tu ailles, c’est là que tu es.

Quel que soit le lieu où tu vis, il constitue ton temple, pour autant que tu le considères comme tel.

Si tu ne trouves pas la vérité là où tu es, où crois-tu donc pouvoir la trouver?

Un esprit ouvert, vaste, te facilitera la vie. Une cuillerée de sel dans un verre d’eau rendra l’eau imbuvable, mais une cuillerée de sel dans un lac se remarquera à peine.

L’esprit du débutant contient de nombreuses possibilités, l’esprit de l’expert en contient peu.

Il faut que la vie spirituelle comporte une forte dose de bon sens.

Il n’y a qu’un moment où il est essentiel de s’éveiller : ce moment même.

Ce ne sont pas nos préférences qui créent des problèmes mais notre attachement à ces préférences.

Quelles qu’aient été les difficultés du passé, tu peux toujours recommencer à zéro aujourd’hui.

Il n’y a pas de lieux sacrés ni de personnes sacrées, il n’y a que des instants sacrés, des instants de sagesse.

Lorsqu’on lui demanda s’il était dieu ou homme, le Bouddha répondit : « Je suis éveillé. »

Ne pas obtenir ce que tu désires et obtenir ce que tu désires peuvent être tout aussi décevants.

De même qu’en gardant la droite au volant, on a la liberté d’aller où on veut, en acceptant la loi naturelle du changement perpétuel, on suit l’itinéraire de la liberté.

Quand tu marches, contente-toi de marcher ; quand tu manges, contente-toi de manger.

Ne t’entête pas à rechercher la vérité, cesse simplement de t’accrocher à tes opinions.

De même que le serpent se défait de sa peau, nous devons constamment nous défaire de notre passé.

Dans la vie, nous ne pouvons échapper au changement ou à la perte. La liberté et le bonheur sont à la mesure de la souplesse et de l’aisance avec lesquelles nous accueillons le changement.

En marchant, en mangeant, en voyageant, sois là où tu es. Sinon, tu passeras pratiquement à côté de ta vie.

Imagine que chaque individu dans l’univers est éveillé – sauf toi. Tous sont tes maîtres et font exactement ce qu’il faut pour t’aider à apprendre la patience, la parfaite sagesse, la parfaite compassion.

Nulle personne extérieure à nous-mêmes ne peut nous contrôler intérieurement. Quand nous savons cela, nous sommes libérés.

La peur est toujours l’appréhension d’un événement qui ne s’est pas encore produit. Grands sont notre peur et notre sentiment de séparation mais plus grande encore est la vérité de notre lien avec le Tout.

L’acte de pardonner nous profite d’abord à nous-mêmes puisque nous cessons ainsi de porter le fardeau du ressentiment. Mais nous n’accepterons pas pour autant  que l’injustice se reproduise.

Elvira Amrhein Paintings

Notre maison, nos enfants ne nous appartiennent pas, ni même notre propre corps. Ils nous sont simplement alloués pour un temps et nous devons les traiter avec soin et avec respect.

Même notre colère peut être accueillie avec un cœur empli de bienveillance.

La simplicité procure d’avantage de bonheur que la complexité.

Un jour consacré à passer des jugements sur autrui est un jour douloureux. Un jour consacré à passer des jugements sur toi-même est un jour douloureux. Tu n’es pas obligé d’ajouter foi à tes jugements : ce ne sont que de vieilles habitudes.

La vie se nourrit de la vie. Tous, nous mangeons et nous sommes mangés. Lorsque nous l’oublions, nous pleurons ; lorsque nous nous en souvenons, nous pouvons nous nourrir les uns les autres.

Si tu laisses reposer une eau boueuse, elle s’éclaircira. De même, si tu laisses reposer ton esprit troublé, la chose à faire t’apparaîtra clairement.

Ceux qui sont éveillés vivent dans un état de perpétuel étonnement.

Source : Le Petit Manuel du Bouddha, Jack Kornfield

dimanche 15 septembre 2013

Albert était une lumière...

Âgé de 87 ans, le généticien Albert Jacquard est mort, le 11 Septembre 2013. Il a succombé à une leucémie. Son collier de barbe encadrant une gueule cabossée de philosophe antique et ses combats passionnés pour les sans-papiers et contre le racisme ont marqué les mémoires...


« Il faut prendre conscience de l’apport d’autrui, d’autant plus riche que la différence avec soi-même est plus grande. »

Albert Jacquard

Le choc des cultures...

mercredi 11 septembre 2013

Albert Jacquard (1925-2013)

Généticien, philosophe et écrivain, Albert Jacquard est de toute évidence un humaniste qui consacre son temps à faire partager sa vision d’un monde plus solidaire.

Il est né à Lyon en 1925,  mort à Paris le 11 septembre 2013. Issu d’une famille catholique et conservatrice du Jura, Albert Jacquard se révèle être un élève brillant. Cependant, un drame à l’âge de 9 ans marque profondément sa vie. Lors d’un accident de voiture, il perd son jeune frère. Lui-même en ressort défiguré, ce qui teinta longtemps d’angoisse sa perception du regard des autres.

Il obtient deux baccalauréats de Mathématiques et de Philosophie, entre en 1945 à l’Ecole polytechnique et en sort ingénieur  des Manufactures de l’Etat en 1948.

Albert Jacquard entre à la Société d'exploitation industrielle des tabacs et des allumettes en tant qu’ingénieur d’organisation et méthode, puis est nommé secrétaire général adjoint de 1951 à 1961. 

Rapporteur auprès la Cour des Comptes de 1959 à 1970 et directeur adjoint au service de l’équipement du ministère de la Santé publique de 1962 à 1964, il entre à l’Institut de démographie de Paris et en est diplômé en 1965. En 1966, il part aux Etats-Unis étudier la génétique des populations à l’Université Stanford en Californie non loin de San Francisco.

De retour en France en 1968 avec un diplôme d’études approfondies de génétique en poche, il intègre l’Institut national d'études démographiques en tant que chargé de recherches et responsable du service de génétique. Titulaire d'un doctorat d’université de génétique en 1970 et d’un doctorat d’État en biologie humaine en 1972, il est nommé expert en génétique auprès de l’Organisation mondiale de la santé de 1973 à 1985. Albert Jacquard se tourne alors vers la recherche universitaire à Genève, Paris et Louvain en Belgique. En 1980, il est nommé officier de Légion d'honneur et commandeur de l’Ordre national du Mérite par le président Valéry Giscard d'Estaing, et reçoit le prix scientifique de la Fondation de France la même année, avant d’être nommé membre du Comité consultatif national d'éthique de 1983 à 1988.

Albert Jacquard participe au Comité consultatif national d'éthique. Généticien, il a décidé d'arrêter lui-même ses travaux. Il se prononce contre l'exploitation à des fins commerciales du génome humain et brevetage généralisé du vivant.

Il publie de nombreux livres de vulgarisation scientifique et de réflexion philosophique sur la condition humaine. Il se rapproche du mouvement altermondialiste et prône la décroissance. Jacquard invite à une réflexion sur les déséquilibres de nos sociétés, sur la richesse de nos cultures, l’importance de l’éducation.

Humaniste, Albert Jacquard s'engage pour la défense des plus démunis. Il milite notamment aux côtés de l'association Droit au logement et de l'Abbé Pierre. Il apporte son soutien aux étrangers en situation irrégulière en grève de la faim à Lille durant l'été 2007. Il exprime ses vues sur la société et les sujets d'actualité dans une chronique radiophonique quotidienne sur France Culture.


En 1994, il est l'un des fondateurs de l'association Droits Devant !!

Site internet de l'association "Droits Devant !!"




Albert Jacquard "Rebâtir une société humaine sans compétition"


Bibliographie
 
Ouvrages scientifiques

* Structure génétique des populations, Masson, 1970
* Les probabilités, Collection Que sais-je ?, Presses universitaires de France, 1974
* Génétique des populations humaines, Presses universitaires de France, 1974
* The Genetic Structure of Populations, Springer, 1974
* L’étude des isolats. Espoirs et limites, Presse universitaires de France-INED, 1976
* Concepts en génétique des populations, Masson, 1977

Ouvrages de vulgarisation scientifique 

* Éloge de la différence, Éditions du Seuil, 1981
* Moi et les autres, Éditions du Seuil, 1983, rééd. rééd. 2009, Éditions Points
* Au péril de la science ?, Éditions du Seuil, 1982, parution en 1984
* Inventer l’homme, Éditions Complexe, 1984
* L’Héritage de la liberté, Éditions du Seuil, 1986
* Cinq milliards d’hommes dans un vaisseau, Éditions du Seuil, 1987
* Moi, je viens d’où ?, avec la participation de Marie-José Auderset, Éditions du Seuil, 1988
* Abécédaire de l’ambiguïté, Editions du Seuil, 1989
* C’est quoi l’intelligence ?, avec Marie-José Auderset, Éditions du Seuil
* Idées vécues, Flammarion, 1990
* Voici le temps du monde fini, Éditions du Seuil, 1991
* Tous différents, tous pareils, Éditions Nathan, 1991
* Comme un cri du cœur, Éditions l’Essentiel, 1992 (ouvrage collectif)
* La Légende de la vie, Flammarion, 1992
* E=CM2, Éditions du Seuil, 1993
* Deux sacrés grumeaux d’étoile, Éditions de la Nacelle, octobre 1993
* Avec Jacques Lacarrière, Science et croyances, Éditions Écriture, 1994 ; réed. Albin Michel, 1999
* Absolu, dialogue avec l’abbé Pierre, Éditions du Seuil, 1994
* L’Explosion démographique, Flammarion, collection « Dominos », 1994
* La Matière et la vie, Éditions Milan, coll. « Les essentiels », 1995
* La Légende de demain, Flammarion, 1997
* L’Équation du nénuphar, Calmann-Lévy, 1998, rééd. Éditions LGF - Livre de Poche, 2000
* L'avenir n'est pas écrit, avec Axel Kahn, Bayard, 2001
* Paroles citoyennes, avec Alix Domergue, Albin Michel, 2001
* De l'angoisse à l'espoir, avec Cristiana Spinedi, Calmann Lévy, 2002
* La Science à l’usage des non-scientifiques, 2001
* Ecologie et spiritualité, collectif, Albin Michel, 2006
* Le monde s'est-il créé tout seul ?, collectif, Albin Michel, 2008
* Moi, je viens d’où ? suivi de C’est quoi l’intelligence ? et E=CM2, Éditions Points 2009

Ouvrages philosophique et/ou politique
 
* Un monde sans prisons ?, Éditions du Seuil, 1993
* J’accuse l’économie triomphante, Calmann-Lévy, 1996
* Le Souci des pauvres. L’Héritage de François d’Assise, Calmann-Lévy, 1996
* Pour une terre de 10 milliards d'hommes, Zulma, 1997
* Petite philosophie à l’usage des non philosophes, avec Huguette Planès, Québec-Livres, 1997
* Le Souci des pauvres, 1998
* A toi qui n’es pas encore né, 1998
* Paroles citoyennes, Albin Michel, 2001. Avec Alix Domergue
* Dieu ?, 2003
* Tentative de lucidité : recueil de quelques chroniques diffusées sur France Culture, 2003
* Halte aux Jeux !, Stock, 2004
* Nouvelle petite philosophie, avec la participation d'Huguette Planès, Stock, 2005
* Mon utopie, Stock, 2006
* Jamais soumis, jamais soumise (dialogue avec Fadela Amara), Stock, 2007
* Le compte à rebours a-t-il commencé?, Stock, 2009

Citations d’Albert Jacquard

"A deux reprises, j'ai donc défilé avec ma promo sur les Champs-Elysées. Je me souviens d'avoir éprouvé une certaine gêne, car j'avais lu la remarque d'Einstein: Pour marcher au pas, le cerveau est superflu, la moelle épinière suffit."
Mon utopie

"Celui qui tolère, se sent bon de tolérer, celui qui est toléré se sent doublement méprisé pour le contenu de ce qu'il représente ou de ce qu'il professe et pour son incapacité à l'imposer."
L'éloge de la différence

"Ceux qui prétendent détenir la vérité sont ceux qui ont abandonné la poursuite du chemin vers elle. La vérité ne se possède pas, elle se cherche."
Petite philosophie à l'usage des non-philosophes

"Est fanatique celui qui est sûr de posséder la vérité. Il est définitivement enfermé dans cette certitude ; il ne peut donc plus participer aux échanges ; il perd l'essentiel de sa personne. Il n'est plus qu'un objet prêt à être manipulé."

"Le véritable remède contre le chômage est qu'il n'y ait plus de travail pour personne, mais pour chacun une place dans la société."
Extrait de Petite Philosophie à l’usage des non-philosophes

"Mon objectif, ce n'est pas de construire la société de demain, c'est de montrer qu'elle ne doit pas ressembler à celle d'aujourd'hui."

"Les autres ne sont pas notre enfer parce qu'ils sont les autres ; ils créent notre enfer lorsqu'ils n'acceptent pas d'entrer en relation avec nous."
Extrait de Petite Philosophie à l’usage des non-philosophes

"L'objectif de toute éducation devrait être de projeter chacun dans l'aventure d'une vie à découvrir, à orienter, à construire."
Extrait de l’ Abécédaire de l'ambiguïté de Z à A   

"La liberté n'est pas la possibilité de réaliser tous ses caprices ; elle est la possibilité de participer à la définition des contraintes qui s'imposeront à tous."
Extrait de Petite Philosophie à l'usage des non-philosophes

"Plus nous sentons le besoin d'agir, plus nous devons nous efforcer à la réflexion. Plus nous sommes tentés par le confort de la méditation, plus nous devons nous lancer dans l'action."
Extrait de Petite Philosophie à l'usage des non-philosophes

"Désormais la solidarité la plus nécessaire est celle de l'ensemble des habitants de la Terre."

"Il faut prendre conscience de l'apport d'autrui, d'autant plus riche que la différence avec soi-même est plus grande."
Extrait de Petite Philosophie à l'usage des non-philosophes

"L'oisiveté est, dit-on, la mère de tous les vices, mais l'excès de travail est le père de toutes les soumissions."
Extrait de Petite philosophie à l'usage des non-philosophes

"Manifester son bonheur est un devoir ; être ouvertement heureux donne aux autres la preuve que le bonheur est possible."
Extrait de la Petite Philosophie à l'usage des non-philosophes

"Exprimer une idée est une activité difficile à laquelle il faut s'exercer ; la télé supprime cet exercice ; nous risquons de devenir un peuple de muets, frustrés de leur parole, et qui se défouleront par la violence."
Extrait de Petite Philosophie à l'usage des non-philosophes

"On peut apprendre à un ordinateur à dire : "Je t'aime", mais on ne peut pas lui apprendre à aimer."   
Extrait de Petite Philosophie à l'usage des non-philosophes


Albert Jacquard "La vraie intelligence"