dimanche 12 janvier 2014

Eloge du Jade - Victor Segalen (1878-1919)

Si le Sage, faisant peu de cas de l’albâtre, vénère le pur Jade onctueux, ce n’est point que l’albâtre soit commun et l’autre rare : Sachez plutôt que le Jade est bon,
 
Parce qu’il est doux au toucher — mais inflexible. Qu’il est prudent : ses veines sont fines, compactes et solides.

Qu’il est juste puisqu’il a des angles et ne blesse pas. Qu’il est plein d’urbanité quand, pendu de la ceinture, il se penche et touche terre.

Qu’il est musical : sa voix s’élève, prolongée jusqu’à la chute brève. Qu’il est sincère, car son éclat n’est pas voilé par ses défauts ni ses défauts par son éclat.

Comme la vertu, dans le Sage, n’a besoin d’aucune parure, le Jade seul peut décemment se présenter seul.

Son éloge est donc l’éloge même de la vertu.

Stèles, 1912, Victor Segalen



Victor Segalen (1878-1919)
Victor Segalen, né à Brest le 14 janvier 1878, mort le 21 mai 1919 à Huelgoat, est un poète, et aussi médecin de marine, ethnographe et archéologue français.

Après des études de médecine à l'École principale du service de santé de la marine de Bordeaux, Victor Segalen est affecté en Polynésie française. Il n'aime pas la mer, ni naviguer mais débarquer et découvrir. Il séjourne à Tahiti en 1903 et 1904. Lors d'une escale aux îles Marquises, il a l'occasion d'acheter les derniers croquis de Paul Gauguin, décédé trois mois avant son arrivée, croquis qui seraient, sans lui, partis au rebut. Il rapporte en métropole un roman, les Immémoriaux (1907), ainsi qu'un journal et des essais sur Gauguin et Rimbaud, qui ne seront publiés qu'en 1978.

En 1908, il part en Chine où il soigne les victimes de l'épidémie de peste de Mandchourie. En 1910, il décide de s'installer en Chine avec sa femme et son fils. La première édition de Stèles a lieu à Pékin en 1912. En 1914, il entreprend une mission archéologique consacrée aux monuments funéraires de la dynastie des Han. Cette étude sur les sculptures chinoises ne sera publiée qu'en 1972 (Grande Statuaire chinoise). À ce titre, et en ce qui concerne la littérature, il renouvelle le genre de l'exotisme alors encore trop naïf et ethnocentrique.

En Chine, il rencontre un des rares Européens qui s'y trouvent alors, le sinologue belge Charles Michel qui le marque beaucoup et qui lui inspire le personnage de René Leys.

À la fin de sa mission en Chine, il souhaite se rendre en Birmanie avant la fin de 1914 mais en tant que militaire il reçoit le 11 août 1914 une missive l'informant du début de la guerre entre la France et l'Allemagne.

Il mourut accidentellement, selon sa fiche militaire, le 21 mai 1919 dans la forêt de Huelgoat, un exemplaire de Hamlet à la main. Après coup en 1934, l'État français a inscrit son nom sur les murs du Panthéon en tant qu' "écrivain mort pour la France pendant la guerre de 1914-1918".

Médecin de marine et grand voyageur, mais aussi archéologue, sinologue, ethnographe, écrivain, poète, musicien et calligraphe, c’est en référence à la dualité de ce Breton, nourri de son terreau natal et capable de dépasser toutes les frontières, tant géographiques qu’intellectuelles ou artistiques, que la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Brest porte son nom.

Le nom de Victor Segalen a aussi été adopté par une des universités de Bordeaux, celle où il a fait ses études (Université Victor-Segalen Bordeaux 2), ainsi que par le Lycée français international de Hong Kong.

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