jeudi 18 décembre 2014

Ivan Illich (1926-2002)

Ivan Illich (1926 - 2002)
Ivan Illich (né le 4 septembre 1926 à Vienne en Autriche -  mort le 2 décembre 2002 à Brême en Allemagne) est un penseur de l'écologie politique et une figure importante de la critique de la société industrielle.

Il arrive aux États-Unis en 1951, et travaille comme assistant auprès du pasteur d'une paroisse portoricaine de New York. Entre 1956 et 1960, il est vice-recteur de l'Université catholique de Porto Rico, où il met sur pied un centre de formation pour les prêtres américains qui doivent se familiariser avec la culture latino-américaine. Illich fut co-fondateur du Center for Intercultural Documentation (CIDOC) à Cuernavaca, Mexico. À compter de 1964, il a dirigé des séminaires sur le thème «Alternatives institutionnelles dans une société technologique», avec un accent spécial sur l'Amérique Latine. Il vit désormais sur le mode de l'amitié.

Polyglotte, homme du Sud autant que du Nord, solidement enraciné en Occident et familier avec l'Orient, Illich mérite pleinement la qualité d'humaniste. Ses écrits sur l'école, la santé, la convivialité, l'énergie ont eu un rayonnement universel, provoquant de féconds débats dans de nombreux pays.

Penseur de l'écologie politique, il lutta contre l'automobile et tous les moyens de transports trop rapides qu'il jugeait aliénants et illusoires ; il avait par exemple calculé qu'en prenant en compte le temps moyen passé à travailler pour acquérir une automobile et faire face aux frais qui y sont liés et non seulement le temps passé à conduire celle-ci, la vitesse du bolide était de 6 km/h.

Inventeur du concept de monopole radical (lorsqu'un moyen technique est ou semble trop efficace, il crée un monopole et empêche l'accès aux moyens plus lents, comme les autoroutes vis-à-vis de la marche à pied par exemple), il travailla à créer des pistes vers d'autres possibilités, basées sur la convivialité et la simplicité.

On peut le considérer, avec son ami Jacques Ellul comme l'un des principaux inspirateurs de l'idée de "décroissance" et de "simplicité volontaire".

La principale notion illichienne est le concept de la contre-productivité, qui décrit un phénomène embarrassant : lorsqu'elles atteignent un seuil critique (et sont en situation de monopole) les grandes institutions de nos sociétés modernes industrielles s'érigent parfois sans le savoir en obstacles à leur propre fonctionnement : la médecine nuit à la santé (tuant la maladie parfois au détriment de la santé du patient), le transport et la vitesse font perdre du temps, l'école abêtit, les communications deviennent si denses et si envahissantes que plus personne n'écoute ou ne se fait entendre), etc.

Il est décédé en 2002, suite à une tumeur qu'il a volontairement choisi d'assumer jusqu'au bout et de ne pas opérer, refusant aussi le recours à des sédatifs qui lui auraient fait perdre sa lucidité.

Extraits d’Une société sans école d’Ivan Illich 1971

Un véritable système éducatif devrait se proposer trois objectifs. À tous ceux qui veulent apprendre, il faut donner accès aux ressources existantes, et ce à n’importe quelle époque de leur existence. Il faut ensuite que ceux qui désirent partager leurs connaissances puissent rencontrer toute autre personne qui souhaite les acquérir. Enfin, il s’agit de permettre aux porteurs d’idées nouvelles, à ceux qui veulent affronter l’opinion publique, de se faire entendre. Un tel système supposerait l’existence de garanties constitutionnelles accordées à l’éducation. Pourquoi celui qui apprend devrait-il se soumettre à un programme obligatoire? Comment justifier une ségrégation fondée sur la possession de certificats ou de diplômes? L’impôt est forcément injuste lorsque tous les citoyens doivent entretenir un ensemble gigantesque de bâtiments scolaires, un corps enseignant démesuré, car tout cela ne sert que les fins de l’industrie de la connaissance, ne permet de distribuer que les produits qu’elle veut bien mettre sur le marché pour un nombre limité de consommateurs. À quoi devraient servir les possibilités que nous donne la technologie, sinon à donner à chacun les moyens de s’exprimer, de communiquer, de rencontrer les autres? C’est la liberté universelle de parole, de réunion, d’information, qui a vertu éducative.

Les écoles gèrent cette pénurie de personnel qualifié. Aux États-Unis, le nombre des infirmières est en diminution, parce que maintenant, pour exercer ce métier, il faut suivre quatre années d’études spécialisées. Des femmes issues de familles modestes suivaient naguère avec peine un cycle de deux ans ; aujourd’hui, elles cherchent un autre emploi.
Certes, exiger des enseignants de métier, dûment diplômés, conduit au même résultat. Pour ne pas manquer d’infirmières compétentes, il suffirait d’encourager celles qui exercent déjà à en former de nouvelles, et les juger, non pas sur leurs diplômes, mais sur leurs aptitudes réelles. Les diplômes représentent un obstacle à la liberté de l’éducation, en faisant du droit de partager ses connaissances un privilège réservé aux employés des écoles. Si bien que pour garantir le développement de l’échange des compétences, il nous faudrait une législation qui garantisse cette liberté d’enseigner. Le droit d’enseigner une compétence devrait être tout aussi reconnu que celui de la parole. Une fois cette restriction levée, l’étude en serait facilitée.
Mais comment convaincre les personnes compétentes de transmettre leur savoir et comment disposer des capitaux nécessaires? Nous pourrions imaginer plusieurs solutions. On pourrait, par exemple, institutionnaliser l’échange des compétences en créant des centres ouverts au public, en particulier dans les zones industrielles, tout au moins pour les connaissances indispensables à l’exercice de certaines professions : savoir lire, taper à la machine, se servir de la comptabilité, parler une langue étrangère ou plusieurs, connaître la programmation, être initié aux circuits électriques, diriger telle ou telle machine, etc. Il serait possible de distribuer à certains groupes de la population des bons éducatifs donnant accès à ces centres, tandis que les personnes plus privilégiées devraient payer pour en bénéficier.
On pourrait concevoir une solution plus révolutionnaire en créant une sorte de «banque». Ainsi, on donnerait à chaque citoyen un premier crédit lui permettant d’acquérir des connaissances de base. Ensuite, pour bénéficier de nouveaux crédits, il devrait lui-même enseigner, soit dans les centres organisés, soit chez lui, voire sur les terrains de jeux. Le temps passé à enseigner par l’exemple et la démonstration serait celui-là même qui permettrait de bénéficier des services de personnes plus instruites. Une élite entièrement nouvelle apparaîtrait, constituée de ceux qui auraient gagné leur éducation en la partageant avec autrui.

De génération en génération, nous nous sommes efforcés de parvenir à l’édification d'un monde meilleur et, pour ce faire, nous avons sans cesse développé la scolarité. Jusqu'à présent, l'entreprise s’est soldée par un échec. Et qu’avons-nous appris, si ce n’est à contraindre les enfants à gravir l’escalier sans fin de l’éducation, qui loin de conduire à l'égalité recherchée ne fait que favoriser celui qui part en avance sur les autres, ou qui se trouve en meilleure santé, ou bénéficie d'une meilleure préparation ? Pis encore, l'enseignement obligatoire semble miner la volonté personnelle d'apprendre. Enfin, le savoir considéré comme une marchandise, qu'il faut stocker et distribuer, se voit vite considéré comme un bien soumis aux garanties de la propriété individuelle et, par là même, il est appelé à se raréfier.

Bibliographie :

Libérer l'avenir, Paris, Seuil, 1969
Une Société sans école, Paris, Seuil, 1971
La Convivialité, Paris, Seuil, 1973
Énergie et équité, Paris, Seuil, 1973 
Némésis médicale, Paris, Seuil, 1975
Le Chômage créateur, Paris, Seuil, 1977
Le Travail fantôme, Paris, Seuil, 1981
Le Genre vernaculaire, Paris, Seuil, 1983
H2O. Les eaux de l'oubli, Paris, Lieu commun, 1988
ABC : l'alphabétisation de l'esprit populaire, Paris, La Découverte, 1990
Du Lisible au visible : la naissance du texte, Paris, Cerf, 1991
Dans le Miroir du passé, Paris, Descartes et Cie, 1994
La perte des sens, inédit, Paris, Fayard, 2004
Œuvres complètes, volume 1, Paris, Fayard, 2004
(contient les ouvrages suivants : Libérer l'avenir ; Une société sans école ; Energie et équité ; La convivialité ; Némésis médicale)
Œuvres complètes, volume 2, Paris, Fayard, 2005
(contient les ouvrages suivants : Le chômage créateur, Le travail fantôme, Le Genre vernaculaire, H2O, Du lisible au visible et Dans le miroir du passé)

samedi 13 décembre 2014

Mon utopie - Albert Jacquard (1925-2013)

Editions Stock et Livre de poche
A une époque où tout le monde ne parle que de «réalisme» pour en fait imposer la dictature de l'argent, Albert Jacquard prend ici du recul. Recul par rapport à sa propre trajectoire dont il retrace le fil ; recul par rapport à l'actualité et ses contraintes en imaginant ce que pourrait être une «Cité où tout serait école», où le travail aliénant serait réduit au minimum, où personne ne se soucierait du déficit de la Sécurité sociale parce que les soins seraient considérés comme un droit imprescriptible, où la lutte pour la compétition serait abolie, où l'accumulation des richesses céderait le pas à l'organisation des rencontres... Utopie que tout cela ? Bien sûr, mais raisonnable. Le cours des choses n'a-t-il pas déjà commencé à donner raison à Albert Jacquard ? Et puis, qu'y a-t-il de plus sensé que de chercher une nouvelle voie quand nous savons les autres irrémédiablement bouchées ?
Albert Jacquard est bien connu pour son parcours atypique: polytechnicien, généticien des populations, il s'est investi depuis longtemps maintenant dans le combat en faveur des exclus, des déshérités. Il propose une sagesse humaniste et laïque qui reçoit un accueil immense.

«J'atteins l'âge où proposer une utopie est un devoir ; l'âge où les époques à venir semblent toutes également éloignées : qu'elles appartiennent à des siècles lointains ou à de prochaines décennies, elles sont toutes tapies dans un domaine temporel que je ne parcourrai pas.»

Albert Jacquard accuse également la façon égoïste de penser de certains dirigeant et concitoyens quand à l’utilisation des richesses de notre planète. Comment des personnes peuvent-elle décider d’exploiter des ressources qui devraient appartenir au monde entier: présent et avenir! Albert imagine un monde où le chômage serait un mot désuet par le seul fait que le mot travail serait annihilé. Les humains ne réalisant donc plus que des activités. ¨l’activité de chacun est provoquée, justifiée,valorisée, par les besoins de tous.¨

Enfin, pour finir en apothéose, vient le tour de l’éducation dans cette cité idéale où il n’existe que des rapports entres les individus. Le système de notation dans son sens de classification, de palmarès ou de soumission à la Aldous Huxley dans le meilleur des mondes n’existerait plus. Seul l’amélioration par l’erreur serait présente. La compréhension serait victorieuse sur l’apprendre.

Albert Jacquard parvient à dresser une utopie, tout en arrivant  à nous convaincre que ce monde est possible pour bientôt, il suffit de volontarisme de la part de l’humanité. Contrairement à Utopia de Thomas Moore, Albert est pour une paix inconditionnelle entre les hommes. D'ailleurs pour lui l’Utopia n’est plus représentée par une île mais par le planète Terre en entier.

Extrait sur le système de classe préparatoire aux grandes écoles:

¨l’entrée en « taupe » a marqué pour moi une double et désagréable discontinuité : il fallait quitter la quiétude provinciale, abandonner le confort familial, mais surtout il fallait adopter une nouvelle obsession. Il ne s’agissait plus en effet d’entretenir le plaisir de comprendre, mais d’accepter la soumission à un seul objectif : réussir le concours final. Pour cela il fallait s’interdire tout vagabondage de la pensée, ne pas s’abandonner à ce qui passionne; il fallait suivre les chemins balisés, être conformiste.¨

Conclusion finale:

¨ La paix entre les humains ne dépend que d’eux, elle est possible. Mais elle n’est nullement certaine, le pire est lui aussi possible. Entre le pessimisme désespéré et l’optimisme satisfait, la seul attitude raisonnable est le volontarisme. A nous d’agir, pour que tous les humains combattent ensemble leurs ennemis communs: la maladie, l’égoïsme, la faim, la misère, le mépris. Pour qu’ils acceptent enfin l’évidence : chacun peut trouver sa source chez les autres, tous les autres.¨

mercredi 3 décembre 2014

Restaurer la priorité au long terme

Le règne de l’urgence caractérise l’économie actuelle et domine la société dans son ensemble. Or, sans la prise en compte du long terme, la vie de nos contemporains deviendra un enfer. L’économie positive vise à réorienter le capitalisme vers la prise en compte des enjeux du long terme. L’altruisme envers les générations futures y est un moteur plus puissant que l’individualisme animant aujourd’hui l’économie de marché.

Beaucoup d’initiatives positives existent déjà, de l’entrepreneuriat social à l’investissement socialement responsable, en passant par la responsabilité sociale des entreprises ou encore le commerce équitable et l’action de l’essentiel des services publics. Elles demeurent toutefois encore trop anecdotiques : l’économie positive suppose, pour réussir, un changement d’échelle.

La crise actuelle s’explique justement très largement par le caractère non positif de l’économie de marché : la domination du court terme a envahi toutes ses sphères, et en premier lieu la finance. Alors qu’elle avait pourtant comme fonction d’origine de transformer le court terme (dépôts des épargnants) en long terme (investissements), sa mission initiale a été largement dévoyée dans de nombreux pays avec le mouvement de dérégulation, de désintermédiation et d’informatisation amorcé il y a une trentaine d’années. La finance est ainsi devenue un secteur à part entière, en partie déconnecté du reste de l’économie, et voulant trop souvent le dominer plutôt que le servir.

La dictature de l’urgence s’est ainsi répandue à toute l’économie : les entreprises sont devenues l’outil qui doit générer un rendement financier immédiat pour des actionnaires de plus en plus exigeants, de plus en plus volatils et éphémères, en occultant les autres parties prenantes de l’entreprise. Cette évolution a fait perdre aux dirigeants d’entreprise la marge de manœuvre nécessaire pour construire un projet sur le long terme.


Au-delà de l’aspect purement économique, la crise est devenue sociale et morale. Les inégalités engendrées par le système ont conduit une majorité d’individus, poussés par le système financier à vivre à crédit pour ne pas être exclus de la société de consommation ; et beaucoup d’entre eux, surendettés, se trouvent dans des situations dramatiques.

Si le système économique actuel n’est pas réorienté vers la prise en compte du long terme, il sera impossible de relever les défis, écologiques, technologiques, sociaux, politiques ou spirituels, qui attendent le monde d’ici 2030. Des phénomènes irréversibles auront été enclenchés, et le monde courra vers un désordre propice au dérèglement climatique, aux faillites d’États et au développement de l’économie illégale et criminelle.

Un passage à une économie plus positive pourra aider à résoudre la crise et à éviter ces désastres. L’un des prérequis est de bâtir un capitalisme patient, à travers une finance positive, qui retrouve son rôle de support de l’économie réelle. Plus généralement, l’économie positive créera de la croissance, des richesses et des emplois de haut niveau. De nombreuses études démontrent que les entreprises aujourd’hui positives ne sont pas moins efficaces et rentables que d’autres : au contraire, placer le long terme au cœur de leur stratégie assure leur pérennité. La transformation du système économique contemporain en une économie plus positive créerait une dynamique susceptible en particulier de sortir la France de la situation atone qui nourrit l’impression actuelle d’enlisement sans fin.

Pour accomplir ce changement de paradigme, l’une des conditions nécessaires est de pouvoir évaluer les progrès accomplis ainsi que ceux qu’il reste à faire. C’est pourquoi le présent rapport propose d’utiliser deux indicateurs nouveaux, créés pour l’occasion : l’indicateur de positivité de l’économie et le « Ease of Doing Positive Economy Index ». 

L’indice de positivité de l’économie d’un pays a été construit par ce groupe pour établir une photographie du degré actuel de positivité de l’économie d’un pays. L’actualisation annuelle de cet indicateur pourra permettre d’en suivre les progrès. La croissance du PIB fait partie des 29 indicateurs qui constituent cet indice. La France se classe aujourd’hui 19e parmi les 34 pays de l’OCDE : cinquième puissance économique mondiale, elle devrait au moins tenir ce même rang dans les classements relatifs à l’économie positive.

En outre, l’économie positive ne pourra véritablement advenir que si un pays adopte les réformes structurelles nécessaires pour créer un environnement (réglementaire, fiscal) plus favorable à son développement : cette volonté d’un pays d’aller vers une économie plus positive est mesurée par un deuxième indicateur, construit également spécifiquement à l’occasion du présent rapport, le « Ease of Doing Positive Economy Index ».

Ces deux instruments de mesure créés, il nous faut désormais agir. Vite. Fort. Le présent rapport met ainsi en avant 45 propositions destinées à faire advenir une économie plus positive. Elles sont de deux types : des recommandations axées spécifiquement sur l’économie et d’autres centrées sur la création d’une société positive. Les propositions visent à ne plus voir les objectifs sociaux et environnementaux comme des contraintes, mais comme des valeurs en soi. Elles sont adressées aux pouvoirs publics et aux organisations elles-mêmes. Nombre d’entre elles supposent des réformes du droit, qui seul peut restaurer le long terme. Il est par ailleurs préconisé d’agir à tous les niveaux : dans une économie mondialisée, on ne peut se contenter de mesures nationales. La France pourrait donc les porter devant le Conseil européen, le G8, le G20 ou encore l’ONU.


Ces propositions forment un tout. Elles amorcent une (r)évolution positive qu’il convient de démarrer le plus rapidement possible. Parmi ces 45 propositions, 10 sont des mesures piliers, c’est-à-dire qu’elles constituent les chantiers les plus importants, à mettre en oeuvre d’ici cinq ans pour poser le cadre de l’économie positive.

Certaines concernent directement l’entreprise. En premier lieu, il est impératif d’inscrire dans le droit la mission positive de l’entreprise en en modifiant la définition (proposition n° 1). Dans sa rédaction actuelle en droit français, l’article du Code civil qui définit le contrat de société fournit une vision très restreinte d’une entité qui serait seulement tournée vers l’intérêt de ses associés capitalistes. Le rapport propose une nouvelle formulation, prenant en compte la mission sociale, environnementale et économique de l’entreprise.

La définition d’indicateurs positifs extra-financiers (proposition n° 4) constituera une mesure unifiée, ou à tout le moins harmonisée, de l’impact positif des entités économiques s’imposant pour une plus grande transparence et une émulation collective. Le rapport préconise également une refonte des normes comptables (proposition n° 5), afin d’y intégrer la dimension de long terme qui leur fait aujourd’hui défaut, ne permettant pas de valoriser les comportements positifs des entreprises. Enfin, l’entreprise ne pourra devenir véritablement positive que si elle adopte des processus de décision et une gouvernance eux-mêmes positifs : l’influence sur la stratégie de l’entreprise de ses multiples parties prenantes devra donc être rééquilibrée en ce sens (proposition n° 17).

Parmi les autres propositions piliers, certaines ont trait au financement : la création d’un Fonds mondial d’économie positive pourrait être proposée par la France au G8 ou G20 (proposition n° 8). Cela suppose aussi de repenser l’architecture de notre fiscalité autour des externalités positives ou négatives, afin de valoriser ou de défavoriser certains comportements (proposition n° 24).

Des réformes institutionnelles s’imposent également : le long terme doit s’ancrer dans notre droit. Au niveau national, une instance dédiée à la prise en compte des intérêts des générations futures, qui pourrait s’appeler le Conseil du long terme, pourrait être créée en France à partir de l’actuel Conseil économique, social et environnemental (proposition n° 35). L’institutionnalisation du long terme doit également trouver une traduction internationale : il est proposé d’oeuvrer pour l’adoption d’un grand texte international sur les responsabilités universelles, définissant les devoirs des générations présentes à l’égard des générations futures (proposition n° 37), ainsi que pour la création d’un tribunal mondial de l’environnement (proposition n° 38).
Enfin, l’éducation est essentielle pour former des citoyens altruistes, écoresponsables, sensibles à la prise en compte de l’intérêt des générations futures (proposition n° 29). Dix autres propositions sont applicables rapidement, afin d’enclencher la dynamique de l’économie positive dans les douze prochains mois. Elles se répartissent en plusieurs catégories : celles qui concernent au premier chef les entreprises (intégrer l’innovation sociale dans le crédit impôt-recherche ; lancer un programme d’identification et de structuration de pôles territoriaux de coopération positive ; cartographier les politiques qui permettent une responsabilité élargie des producteurs) ; celles qui s’adressent aux consommateurs (rendre obligatoire l’affichage positif pour permettre un choix éclairé des consommateurs) ; celles qui donnent un rôle clé à jouer à l’État en tant que composante de la demande (agir par la commande publique ; mettre en place les contrats de performance environnementale et sociale en lieu et place des partenariats public-privé) ; celles relatives à la finance (renforcer les possibilités de financement participatif ; maîtriser le trading à haute fréquence) ; enfin, celles qui visent à parier sur les secteurs d’avenir (démarrer la transition énergétique ; s’engager dans le numérique).