dimanche 27 avril 2014

Le "Jeu de la Vie" - John Horton Conway (1937-)

Durant l’essentiel de l’histoire de l’humanité, la vie a été considérée comme le propre de Dieu. Seul le démiurge peut donner la vie ; la génération spontanée, phénomène longtemps perçu comme hautement banal, n’était alors que l’expression du pouvoir créateur de Celui qui est à l’origine de tout. A partir du XVIIe siècle, principalement sous l’impulsion des philosophes français, une nouvelle vision de la vie a progressivement émergé :

« [Ceux qui connaissent les automates] considéreront [le] corps comme une machine qui, ayant été faite des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée, et a en soi des mouvements plus admirables, qu’aucune de celles qui peuvent être inventées par les hommes […] s’il y avait de telles machines qui eussent les organes et la figure d’un singe ou de quelque autre animal sans raison, nous n’aurions aucun moyen pour reconnaître qu’elles ne seraient pas en tout de même nature que ces animaux (…)»  Descartes R., Le discours de la méthode.

Selon Descartes, la vie peut ainsi s’interpréter comme un mécanisme, seule l’âme — siège de la raison — relève alors du divin (dualisme). De même, l’idée de structures vivantes fixes, créées une fois pour toute, a reculé au profit d’une interprétation transformiste puis évolutionniste. Les travaux de Lamarck, puis de Darwin, ont ainsi définitivement sonné le glas de la vision antique du vivant.

Malgré ces progrès, les hommes de science ont, dans leur immense majorité, continué de penser que la création de la vie nous restait inaccessible. Seuls certains écrivains comme Mary Shelley avec Frankenstein, osaient poser la possibilité pour l’Homme d’égaler Dieu.

De par leurs implications philosophiques, les tentatives de re-création de la vie illustrent le côté le plus fascinant de la vie artificielle. Dans la pratique, ces travaux sont pourtant loin d'être les plus importants, ni les plus représentatifs de la « discipline ». La vie artificielle ne se limite pas aux seules tentatives de construction de nouvelles instances de la vie ou à la biologie théorique. Elle s'inspire des propriétés du vivant pour proposer des constructions originales, tant algorithmiques que physiques, dotées de capacités étonnantes et aptes à résoudre des problèmes difficiles vis-à-vis desquels les approches plus traditionnelles rencontrent de graves difficultés. C'est le vaste domaine des artefacts biomimétiques (algorithmiques et robotiques).

C'est au début des années 70 que le jeu de la vie est décrit. Inventé par John Horton Conway, suivant les travaux de John von Neumann, le jeu de la vie est un automate cellulaire qui propose un univers fini dans lequel des "cellules" vivent et meurent suivant des règles simples.

Ce programme permet de mettre en évidence l'émergence de comportements d'auto-organisation et la construction de systèmes (ensemble de cellules) stables et autonomes. A l'heure actuelle, aucun algorithme ne permet de calculer la position des cellules à un instant précis.


Un automate cellulaire

Un automate cellulaire consiste en une grille régulière de « cellules » contenant chacune un « état » choisi parmi un ensemble fini et qui peut évoluer au cours du temps. L'état d'une cellule au temps t+1 est fonction de l'état au temps t d'un nombre fini de cellules appelé son « voisinage ». À chaque nouvelle unité de temps, les mêmes règles sont appliquées simultanément à toutes les cellules de la grille, produisant une nouvelle « génération » de cellules dépendant entièrement de la génération précédente.

Étudiés en mathématiques et en informatique théorique, les automates cellulaires sont à la fois un modèle de système dynamique discret et un modèle de calcul. Le modèle des automates cellulaires est remarquable par l'écart entre la simplicité de sa définition et la complexité que peuvent atteindre certains comportements macroscopiques : l'évolution dans le temps de l'ensemble des cellules ne se réduit pas (simplement) à la règle locale qui définit le système. À ce titre il constitue un des modèles standards dans l'étude des systèmes complexes.
Le jeu de la vie

En préambule, il faut préciser que le jeu de la vie n’est pas vraiment un jeu au sens ludique, puisqu’il ne nécessite aucun joueur ; il s’agit d’un automate cellulaire, un modèle où chaque état conduit mécaniquement à l’état suivant à partir de règles pré-établies.

En préambule, il faut préciser que le jeu de la vie n’est pas vraiment un jeu au sens ludique, puisqu’il ne nécessite aucun joueur ; il s’agit d’un automate cellulaire, un modèle où chaque état conduit mécaniquement à l’état suivant à partir de règles pré-établies. Le jeu se déroule sur une grille à deux dimensions, théoriquement infinie (mais de longueur et de largeur finies et plus ou moins grandes dans la pratique), dont les cases — qu’on appelle des « cellules », par analogie avec les cellules vivantes — peuvent prendre deux états distincts : « vivantes » ou « mortes ». En plus de cette univers à 2 dimensions, nous ajoutons la dimension du temps. Celui-ci est découpé en pulsations. A chaque pulsation, le programme calcule la nouvelle configuration des cellules dans l'univers.


À chaque étape, l’évolution d’une cellule est entièrement déterminée par l’état de ses huit voisines de la façon suivante :

-Toute cellule vivante qui a moins de deux voisines vivantes meurt à la prochaine génération.
-Toute cellule vivante qui a deux ou trois voisines vivantes reste vivante à la prochaine génération.
-Toute cellule vivante ayant plus de trois voisines vivantes meurt à la prochaine génération.
-Toute cellule morte ayant exactement trois voisines vivantes revit à la prochaine génération.


On peut donc considérer qu'une cellule naît de l'entourage de congénères et que sa mort est due à l'isolement.

Spécificité des règles du jeu de la vie

John Horton Conway précise que les règles du jeu de la vie ont été déterminées pour engendrer une grande diversité d'ensembles imprévisibles en évitant une simple croissance mécanique du nombre de cellules dans l'univers. Le jeu de la vie fait donc apparaître des ensembles dynamiques et autonomes. Ces derniers auront de plus leurs propres spécificités ! On fera alors vite le parallèle entre le jeu de la vie et les formes primitives de vie...

Les règles explicitées ci-dessus sont bien sûr celles que John Horton Conway a déterminées pour favoriser l’émergence de structure. Mais on peut facilement en changer les règles et certains paramètres : Le nombre de dimensions, le nombre d'états pour une cellule, les cellules prises en compte dans le calcul du voisinage, la transition entre les différents états, etc.

Le jeu de la vie sous de multiples formes peut trouver une application dans de nombreux domaines tels la simulation du trafic, les simulations économiques, le traitement informatique, etc.

Perspectives

Le jeu de la vie suggère enfin que la complexité apparente du monde réel pourrait être en réalité les conséquence d'une foule d'interactions simples... à méditer !

Plus d'informations et essais en ligne :  ici

vendredi 11 avril 2014

Creative Food Art - Sarah Illenberger (1976-)

Artiste allemande, Sarah Illenberger utilise des matériaux simples tels que des légumes, du bois, des fruits, de la laine et du papier pour créer des objets de tous les jours et prendre des photos impressionnantes. Tout ce qu'elle crée, est teinté d'une touche d'humour et d'un grand amour du détail. Dans son premier livre «Gestalten», Sarah Illenberger partage ses travaux méticuleux et concis. Ses œuvres décalées nous rappellent que tout est une question de point de vue, de regard. Elles nous incitent également à garder en mémoire que nos objets manufacturés sont issus des ressources naturelles de la terre...














Sarah Illenberger

Sarah Illenberger (1976-)
Sarah Illenberger est une artiste multidisciplinaire basée à Berlin. Elle travaille à l'intersection de l'art, du design graphique et de la photographie. Elle met l'accent sur des associations analogiques en utilisant des objets du quotidien. Sarah est réputée pour la création d'images pertinentes qui ouvrent de nouvelles perspectives sur des sujets apparemment familiers. 

Sa capacité à transformer des matériaux ordinaires en expériences visuelles complexes et inattendues a été utilisée pour développer des concepts pour les clients dans les domaines de la culture et des affaires dans plusieurs pays. Dans son objectif d'explorer le chevauchement fertile entre art et design, elle a collaboré avec de nombreux photographes et artistes, et rempli des espaces d'exposition avec des projets de leur propre initiative à Paris, Tokyo et Berlin.

jeudi 3 avril 2014

Les pauvres gens - Victor Hugo (1802-1885)

La porte tout à coup s'ouvrit, bruyante et claire,
Et fit dans la cabane entrer un rayon blanc;
Et le pêcheur, traînant son filet ruisselant,

Joyeux, parut au seuil, et dit: C'est la marine!
—C'est toi! cria Jeannie, et contre sa poitrine
Elle prit son mari comme on prend un amant,
Et lui baisa sa veste avec emportement,

Tandis que lé marin disait:—Me voici, femme!
Et montrait sur son front qu'éclairait l'âtre en flamme
Son coeur bon et content que Jeannie éclairait.
—Je suis volé, dit-il; la mer, c'est la forêt.

—Quel temps a-t-il fait?—Dur.—Et la pêche?—Mauvaise,
Mais, vois-tu, je t'embrasse et me voilà bien aise.
Je n'ai rien pris du tout. J'ai troué mon filet.
Le diable était caché dans le vent qui soufflait.

Quelle nuit! Un moment, dans tout ce tintamarre,
J'ai cru que le bateau se couchait, et l'amarre
A cassé. Qu'as-tu fait, toi, pendant ce temps-là?—
Jeannie eut un frisson dans l'ombre et se troubla.

—Moi? Dit-elle. Ah! mon Dieu! rien, comme à l'ordinaire,
J'ai cousu. J'écoutais la mer comme un tonnerre,
J'avais peur.—Oui, l'hiver est dur, mais c'est égal.—
Alors, tremblante ainsi que ceux qui font le mal,

Elle dit:—A propos, notre voisine est morte.
C'est hier qu'elle a dû mourir, enfin, n'importe,
Dans la soirée, après que vous fûtes partis.
Elle laisse ses deux enfants, qui sont petits.

L'un s'appelle Guillaume et l'autre Madeleine;
L'un qui ne marche pas, l'autre qui parle à peine.
La pauvre bonne femme était dans le besoin.
L'homme prit un air grave, et, jetant dans un coin

Son bonnet de forçat mouillé par la tempête:
—Diable! diable! Dit-il en se grattant la tête,
Nous avions cinq enfants, cela va faire sept.
Déjà, dans la saison mauvaise, on se passait

De souper quelquefois. Comment allons-nous faire?
Bah! tant pis! Ce n'est pas ma faute. C'est l'affaire
Du bon Dieu. Ce sont là des accidents profonds.
Pourquoi donc a-t-il pris leur mère à ces chiffons?

C'est gros comme le poing. Ces choses-là sont rudes.
Il faut pour les comprendre avoir fait ses études.
Si petits! On ne peut leur dire: Travaillez.
Femme, va les chercher. S'ils se sont réveillés,

Ils doivent avoir peur tout seuls avec la morte.
C'est la mère, vois-tu, qui frappe à notre porte;
Ouvrons aux deux enfants. Nous les mêlerons tous,
Cela nous grimpera le soir sur les genoux.

Ils vivront, ils seront frère et soeur des cinq autres.
Quand il verra qu'il faut nourrir avec les nôtres
Cette petite fille et ce petit garçon,
Le bon Dieu nous fera prendre plus de poisson.

Moi, je boirai de l'eau, je ferai double tâche,
C'est dit. Va les chercher. Mais qu'as-tu? Ça te fâche?
D'ordinaire, tu cours plus vite que cela.
—Tiens, dit-elle en ouvrant les rideaux, les voilà!


Victor Hugo,  La Légende des Siècles (Les Pauvres Gens)