samedi 28 juillet 2018

Même l'être le plus fragile, le plus démuni, a une fonction

Féminisation de la société, révolution démographique, rôle des associations, initiatives solidaires, émergence du concept du "care", une nouvelle façon de repenser l’État providence autour de la notion d'accompagnement...

Toutes ces questions sont abordées dans l'ouvrage de Serge Guérin: De l’État providence à l'Etat accompagnant (Editions Michalon).


Des "inactifs" plutôt actifs

Alors que la France débat sur la question des retraites, vous abordez le sujet en rappelant que ceux que l'on appelle les "inactifs" ne le sont pas nécessairement.

"Personne n'est réductible à son âge, son genre, son métier, ses origines. Regardez les retraités qui sont hyper présents dans les associations, dans l'aide à des proches, comme élus locaux... Et puis nous avons tous des identités multiples. Dans une même journée, un senior peut être un grand-parent qui va chercher ses petits-enfants à l'école, un jeune bénévole, quelqu'un qui vient de tomber amoureux, ou qui apprend à faire pousser des tomates dans un jardin partagé. 

Je trouve le mot inactif trop péjoratif : inactif voudrait signifier inutile. D'abord, on a le droit d'être inutile. Ensuite, même l'être le plus fragile, le plus démuni, a une fonction. Si je le regarde, si je l'aide, il me renvoie à ma propre humanité.donc il me sert à quelque chose".

Les "aidants": solidarité de proximité

Vous soulignez également le rôle des "aidants", qui entretiennent le lien social. Qui sont-ils ?

Tous ceux qui consacrent plusieurs heures par jour ou par semaine à soutenir d'autres personnes, par exemple un parent malade ou un enfant handicapé. On estime leur nombre entre 3 et 4 millions en France.

Ce que révèle une étude de BVA réalisée pour la Fondation Novartis, c'est que 18% de ces personnes viennent en aide sans qu'entrent en jeu des liens familiaux ou institutionnels. C'est-à-dire qu'on n'aide pas seulement sa famille, mais aussi ses voisins, ses collègues...

Ces solidarités de proximité contribuent à amortir les effets de la crise. Elles participent à ce qu'on appelle aujourd'hui le "care".


Quelle est votre définition du "care" ?

Le care est une pratique du soin et de l'accompagnement des personnes fragilisées sur le plan physique, moral ou économique. Une société du "care" serait une société qui serait à la fois plus protectrice tout en laissant à chacun son chemin d'autonomie. Pour moi, il s'agit de passer d'une logique d'assistance à une société de l'accompagnement. Il faut penser une politique globale du "care", au plan local, régional et national.

Ce qui passe notamment par une revalorisation des emplois de service à la personne. Ces emplois, majoritairement féminins, sont considérés comme "sales". Il faut davantage de formation et puis permettre à ces salariés de changer un jour d'emploi. Ce n'est pas de l'argent perdu.

Quand je rencontre un maire qui rechigne à ouvrir une maison de retraite sur sa commune par peur de la voir vieillir, je lui rappelle que cela fait venir aussi des employés, qui ont des enfants, et que cela lui permettra peut-être un jour de sauver une classe de son école. Et ces personnes âgées vont construire de la mémoire, du lien, apportent quelque chose en retour à la communauté.

Alors que le chômage des plus de 50 ans augmente sensiblement, vous estimez que les seniors pourraient occuper ces emplois.

On peut aussi accompagner les plus de 50 ans et les aider à retrouver un travail en se formant à ces métiers d'aidants et de soutien où l'on ne valorise pas la productivité mais le relationnel, l'attention. C'est un gisement d'emplois non délocalisables, non polluants, et qui participent à la redynamisation des territoires. Ce gisement peut aussi concerner les 170 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme.


Cette société du "care" peut être favorisée par d'autres que l'Etat...

Ce devrait être le rôle des régions, du milieu associatif, des entreprises aussi. Dans le secteur HLM, des femmes s'organisent pour faire garder les enfants de mères seules, des jeunes accompagnent des enfants pour leur faire découvrir de nouveaux métiers... Ailleurs, on voit s'organiser un réseau de co-voiturage. Rhodia France permet à ses salariés grands-parents d'aménager différemment leur temps de travail. Le regard change. Quand quelqu'un a passé cinq ans de sa vie à en aider un autre, ce n'est pas cinq ans de perdus ! Il faudrait pouvoir le mettre sur son CV, en être fier, et être valorisé par l'entreprise parce que c'est un plus.


Source: Ca m'intéresse août 2010, Entretien avec Serge Guérin, sociologue et spécialiste des seniors. Propos recueillis par Frédéric Karpyta.





Serge Guérin (1962-)

Serge Guérin sociologue (1962 -)
Serge Guérin est un sociologue français né en 1962, spécialiste des questions liées au vieillissement de la société et aux enjeux de l'inter-génération. Il est aussi l'un principaux représentants des théories du care en France.
Il est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages dont plusieurs sur la sociologie des seniors ou des personnes âgées et sur les rapports de la société française avec le vieillissement.

On lui doit d'avoir contribué à une vision plus positive du papy-boom  et d'avoir montré la transformation profonde des styles de vie des personnes de plus de 50 ans issus du baby-boom.
 
Il s'est fait connaître des médias pour sa volonté de fustiger les représentations négatives des personnes âgées et de la question senior.

Rédacteur en chef de "Réciproques ", la revue de recherche sur la proximologie (la compréhension et la connaissance des aidants bénévoles auprès de personnes âgées ou de malades chroniques), il s'intéresse aux rôles sociaux des retraités et aux problématiques du don.

Chroniqueur pour différents médias (senioractu.com, Géroscopie Magazine...), il a contribué à de nombreuses revues et ouvrages collectifs, il est vice-président de l'Uniorpa (Union Nationale des Offices de retraités et personnes âgées).

Bibliographie

Le droit à la vulnérabilité. Manager les fragilités en entreprise, Michalon, 2011, en collaboration avec Th Calvat.
La nouvelle société des seniors, Michalon, 2011, nouvelle édition, revue, corrigée et enrichie de La société des seniors, Michalon, 2009
De l'état providence à l'état accompagnant, Michalon, 2010.
Le management des seniors, Eyrolles, 2009, 2eme édition, en collaboration avec Gérard Fournier (Prix du livre RH Sciences Po-Syntec).
La société des seniors, Michalon, 2009.
Le management de transition, Les Echos Etudes, 2008, en collaboration avec Gérard Fournier.
Habitat social et vieillissement. Représentation, formes et liens (direction), La documentation Française, 2008.
Vive les vieux !, Michalon 2008.
L'invention des seniors, Hachette Pluriel, 2007.
Le Grand retour des seniors, Eyrolles, 2002.
Le Boom des seniors, Economica, 2000.
La presse quotidienne, Flammarion, 1999, en collaboration avec Philippe Robinet.
Internet en Questions, Economica, 1998.
La Cyberpresse, Hermes, 1996.
La presse économique et financière, Editions du Cfpj, 1992

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